Éditeur Alan Sutton, Collection « Évocations »,
Saint-Cyr-sur-Loire, 160 p., 2006, Réédition 2016
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L’auteur Joël Mangin - professeur d’histoire honoraire à Is-sur-Tille (Côte
d’Or) et membre de la Société d’histoire Tille-Ignon (SHTI) - choisit ici
d’évoquer la présence des troupes américaines en France à la fin de la grande
guerre et dans les mois qui suivent les traités de paix. Des ouvrages récents
et anciens avaient certes évoqué la question mais, comme annoncé en quatrième
de couverture où l’on mentionne l’existence d’études « universitaires très
pointues [1] » et de « récits d’historiens locaux », l’auteur souhaite ici
s’adresser au public non universitaire en lui présentant un ouvrage simple et
surtout une riche iconographie annoncée comme « très largement inédite »,
même si certaines photographies nous sont déjà connues.
Le plan de l’ouvrage est relativement clair. Il comporte cinq
grandes parties : 1) L’Amérique choisit son camp, 2) (elle) met ses forces en
place, 3) (elle) intrigue et séduit les Français, 4) (elle) fait basculer la
guerre, 5) l’Amérique et la France tissent de nouveaux liens. Ces parties se
composent de chapitres d’autant plus courts qu’ils sont richement illustrés
(…).
C’est de toute évidence dans le regard porté sur l’espace
français qu’est la grande qualité de l‘ouvrage. La diversité des sources y est
pour beaucoup. L’auteur mêle en effet travaux d’érudits locaux, sources orales
et analyses universitaires en y intégrant ses souvenirs familiaux.
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L'organisation de la présence américaine en France en 1917-1919 Bases, zones, Hospital Centers et voies ferrées Cartographie J-Y Martin 2017 |
La question de l’accueil réservé aux Américains et des
malentendus entre les deux cultures revient tout au long de l’ouvrage. Même si
elle est souvent l’objet de remarques pertinentes, on peut être décontenancé
par son organisation. Ainsi la
société américaine passe t-elle pour ne pas connaître les mêmes aristocraties,
la même imperméabilité entre milieux sociaux que la société française. Encore
faut-il souligner que les Américains noirs sont l’exception notable. La chose
est d’autant plus vraie que la question revient dans tous les ouvrages
universitaires sur le sujet. En étendant à l’ensemble de la population
française les remarques de l‘abbé Chauveau, Joël Mangin affirme que la ségrégation raciale ne gêne en rien
les Français qui la pratiquent aussi (p. 77).
Il témoigne de ses doutes sur le sujet en reproduisant un avis contraire quelques pages plus loin (p. 106). Contre la première affirmation, il faut rappeler que si, sauf pour les vieilles colonies, les unités coloniales sont effectivement constituées sur la base de critères ethniques dans un contexte colonial ségrégationniste, il est faux de croire que les Français ne se choquent pas de la façon dont les Américains noirs sont traités par leurs compatriotes blancs. Si l’une des illustrations de l’ouvrage présente un cliché comme l’une des rares photographies où se mêlent Américains noirs et blancs, il convient sans doute de souligner que les dits noirs sont tous assis par terre. Tous les auteurs français et américains ayant travaillé le sujet savent combien la brutalité et la ségrégation ont choqué.
Il témoigne de ses doutes sur le sujet en reproduisant un avis contraire quelques pages plus loin (p. 106). Contre la première affirmation, il faut rappeler que si, sauf pour les vieilles colonies, les unités coloniales sont effectivement constituées sur la base de critères ethniques dans un contexte colonial ségrégationniste, il est faux de croire que les Français ne se choquent pas de la façon dont les Américains noirs sont traités par leurs compatriotes blancs. Si l’une des illustrations de l’ouvrage présente un cliché comme l’une des rares photographies où se mêlent Américains noirs et blancs, il convient sans doute de souligner que les dits noirs sont tous assis par terre. Tous les auteurs français et américains ayant travaillé le sujet savent combien la brutalité et la ségrégation ont choqué.
La chose explique le sentiment de liberté ressenti par les
Américains noirs en France quand leurs compatriotes blancs ressentent avec
colère l’absence de stricte séparation dans le territoire de la métropole et,
surtout, le fait que les relations sexuelles entre hommes noirs et femmes
blanches ne soient pas a priori considérées comme le comble du crime et de
l’obscénité en France métropolitaine. On regrettera peut être que cet aspect ne
soit pas présenté dans un ouvrage qui a vocation à une large diffusion tant
cette rencontre États-Unis-France joue sur le regard que les deux sociétés
portent sur elles-mêmes. L’attitude américaine conforte ainsi les Français dans
l’idée qu’ils sont de bons colonisateurs. On sait que la découverte de la
France par les Américains noirs entraîne, en retour, une recrudescence des
lynchages, le fameux Red
summer de 1919. Évoquant des
viols que l’opinion américaine attribue volontiers à des Américains noirs (p.
103), l’ouvrage fait également mention de la pendaison à Is-sur-Tille, d’un
lieutenant blanc auteur du viol d’une fillette de huit ans (p. 113). Il se
trouve que cet événement rapporté par une dépêche Havas ne fut cité aux États-Unis
que dans quelques journaux noirs lesquels reprochaient à leurs homologues
blancs de reproduire complaisamment tous les crimes commis par des soldats
noirs exécutés sans enquête et sans
jugement.
jugement.
Autre aspect de cette rencontre franco-américaine, l’étonnement
des Français devant l’extrême mobilité sociale et professionnelle des
Américains, évoluant dans une société qui, dans les limites évoquées plus haut,
peut à bien des égards se révéler plus ouverte que la leur. Le succès du
jazz apparaît avec les Hell Fighters, du 69e d’Infanterie. Les Américains
impressionnent également en jouant Dvorak ou en faisant connaître le base-ball
et la boxe, laquelle sera promise à un grand succès en France.
On apprend
également l’existence de journaux internes publiés par les unités américaines
parmi lesquels Toot sweet (transcription du « tout
d’suite ! » des
commerçantes françaises du bourg de Savenay, voir ci-contre). L’indiscipline des Américains
frappe également les Français, notamment les employés de chemin de fer désespérés
par l’ampleur de la resquille, les commerçants volés ou les témoins de
beuveries mémorables. L’ouvrage en fait simplement le constat. Sur la question
des vols, il semble, d’après H. Levenstein, que certains conflits s’expliquent
par la suspicion des soldats vis-à-vis de commerçants eux-mêmes victimes de la
nouveauté que représentait une inflation galopante.
Reste que la présence américaine fait monter les prix, phénomène classique du tourisme, qu’il soit civil ou militaire. C’est notamment le cas dans la Sarthe à propos du prix du beurre. On s’amuse au passage que des Français aient osé rendre la monnaie en pièces démonétisées. Des Américains auraient eux-mêmes résolu les problèmes de hausse des prix en payant les Français en dollars des « Confederate States ». Joël Mangin évoque le souvenir qu’ont laissé chez les témoins français les exploits soulographiques des « sammies » et les ruses qu’ils emploient pour pouvoir consommer de l’alcool au bar ou au camp, au nez et à la barbe de la Military police (les MPs). On connaissait depuis H. Levenstein l’étonnement des touristes américains du XIXe devant cet étrange pays où les restaurants servaient de l’alcool. Cette consommation n’était pas systématiquement associée à des lieux de perdition interdits aux honnêtes femmes ou à de mémorables beuveries collectives. Il est clair que les « doughboys » (ou « sammies »), à qui l’armée ne fournit pas d’alcool, ne sont guère préparés à comprendre un pays où l’on en sert en toute occasion sans pour autant finir ivre mort. Joël Mangin fait également remarquer la différence d’origine sociale entre les premiers volontaires américains et les vagues qui les suivent. Levenstein l’avait fait à l’échelle séculaire en comparant touristes américains huppés du XIXe et catégories plus modestes du XXe.
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Le journal américain du Base hospital n°8 de Savenay TOOT SWEET The American Red Cross, V2, n°5 mai 1919 |
Reste que la présence américaine fait monter les prix, phénomène classique du tourisme, qu’il soit civil ou militaire. C’est notamment le cas dans la Sarthe à propos du prix du beurre. On s’amuse au passage que des Français aient osé rendre la monnaie en pièces démonétisées. Des Américains auraient eux-mêmes résolu les problèmes de hausse des prix en payant les Français en dollars des « Confederate States ». Joël Mangin évoque le souvenir qu’ont laissé chez les témoins français les exploits soulographiques des « sammies » et les ruses qu’ils emploient pour pouvoir consommer de l’alcool au bar ou au camp, au nez et à la barbe de la Military police (les MPs). On connaissait depuis H. Levenstein l’étonnement des touristes américains du XIXe devant cet étrange pays où les restaurants servaient de l’alcool. Cette consommation n’était pas systématiquement associée à des lieux de perdition interdits aux honnêtes femmes ou à de mémorables beuveries collectives. Il est clair que les « doughboys » (ou « sammies »), à qui l’armée ne fournit pas d’alcool, ne sont guère préparés à comprendre un pays où l’on en sert en toute occasion sans pour autant finir ivre mort. Joël Mangin fait également remarquer la différence d’origine sociale entre les premiers volontaires américains et les vagues qui les suivent. Levenstein l’avait fait à l’échelle séculaire en comparant touristes américains huppés du XIXe et catégories plus modestes du XXe.
La construction des camps et des hôpitaux américains n’est pas
sans poser des problèmes de main d’œuvre. D’après les cartes de circulation
conservées à Savenay, les ouvriers employés sur ces chantiers peuvent être
chinois, algériens, marocains, tunisiens, monténégrins, grecs, portugais,
anglais de Malte ou levantins. On note qu’une carte parmi celles retrouvées mentionne un
Israélite du Levant, selon une surprenante mention officielle de judéité. A
Rimaucourt (Haute-Marne), un traité sino-américain permet d’employer 298
Chinois au chantier de l’hôpital. A Beaune, la construction du grand hôpital
entraîne une longue controverse entre l’entreprise et la chambre de commerce qui l’accuse de drainer une main d’œuvre ainsi détournée des vignes
ravagées par le mildiou. On en appelle même au président du conseil Clemenceau,
qui a sans doute alors d’autres chats à fouetter.
On ira également avec amusement la page
consacrée au commissaire de Savenay persuadé de l’existence d’un complot
« boche » prévoyant de diffuser des ouvrages licencieux parmi
les Français et les Américains afin d’augmenter la propagation des maladies
vénériennes et de réduire ainsi le nombre des soldats dirigés sur le front (p.113).
Plus sérieusement, l’auteur met en évidence le changement
constitué par l’arrivée massive
de véhicules à moteur sur des routes qui en connaissaient alors fort peu. Le
fait explique le nombre relativement important d’accidents signalés et
d’animaux écrasés. On sait par ailleurs par Nouailhat et Levenstein l’importance
de l’accident automobile en pleine ville comme élément d’exaspération de la
population dans le déroulement des incidents anti-américains de Saint-Nazaire
en avril 1919. A Is-sur-Tille, c’est le facteur qui est écrasé, ce qui entraîne
la limitation de la vitesse à 12 km/h et l’obligation nouvelle d’équiper d’une
lanterne allumée les automobiles roulant de nuit.
L’ouvrage de Joël Mangin rapporte avec beaucoup de talent une
foule de détails et d’innovations techniques liés au passage des Américains en France
en 1917-1919. Même s‘il ne fait pas toujours preuve de la plus grande sévérité
d’analyse aux yeux d’un lectorat enseignant, c’est un livre destinée à une large
diffusion.
Dominique Chathuant
(Clionautes)
(Clionautes)
[1] On citera parmi les meilleurs titres :
Yves-Henry Nouailhat, Les Américains à Nantes et à Saint-Nazaire (1917-1919), Annales Littéraires de l’Université de Nantes, Les Belles lettres, 1972 ; André Kaspi, Le temps des Américains. Le concours américain à la France Publications de la Sorbonne, 1995 ;
Abbé Chauveau, Les Américains à Gièvres. Histoire d’un camp américain, Nantes, 1922.
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