Fusion Estuaire et Sillon : un président de droite en terre de gauche ?

Mercredi 11 janvier 2017, le premier conseil communautaire issu de la fusion au 1er janvier 2017 de Loire et Sillon (8 communes) et de Cœur d’Estuaire  (3 communes) élira son nouveau président et son "exécutif" (ou bureau) pour la nouvelle intercommunalité dénommée Estuaire et Sillon. Quelles conditions et significations pour ce vote dans une intercommunalité à l’identité floue, ni complétement Sillon, ni tout à fait Estuaire ? Quels sont les signaux forts de la crise de la démocratie délégataire locale ? Pourquoi peut-elle conduire à nouveau (après 2008 et 2014) à l’élection d’un président de droite dans une terre qui reste de gauche ? La responsabilité de la "gauche" locale n'est-elle pas engagée, par ses divisions affichées et son manque de projet communautaire alternatif, ou de volonté, sinon de capacité, d'en avoir un ? Dans cette situation, quelles sont les perspectives qui s’offrent finalement dans notre intercommunalité fusionnée ?


Estuaire et Sillon : périmètre et démographie

1. Une élection présidentielle intercommunale anti-démocratique aux enjeux obscurs

1.a - Une élection au énième degré 

L'élection du président d'Estuaire et Sillon est pour le moins indirecte. Elle passe par de nombreux degrés. Et chacun sait que "plus il y a de degrés, moins c’est démocratique !". Jusqu'à inverser la tendance politique du territoire.
  • Étape 1 : L'élection municipale (2014), 1er et 2ème tour, au suffrage universel, pour les conseillers municipaux 
  • Étape préalable : la désignation des conseillers communautaires "fléchés" est préalable à l'élection municipale, à travers la composition des listes.
  • Étape 3 : l'élection du Maire et du bureau des adjoints communaux en conseil municipal (suffrage indirect, au second degré)
  • Étape 4 : L'élection du Président de l'intercommunalité en conseil communautaire (suffrage restreint).
De degré en degré, il y a ainsi beaucoup de nombreuses "pertes en ligne" démocratiques entre l'expression directe des citoyens eux-mêmes et la désignation d'un président d'intercommunalité, accentuées ici par une fusion en cours de mandat (2014-2020). C'est une première cause du paradoxe de l'élection d'un président de droite dans une territoire de gauche. Mais il y en a bien d'autres.

1.b - Un collège électoral rabougri : évolution du nombre des conseillers communautaires (2014 – 2017)


Dans le périmètre élargi, le nombre de conseillers communautaires
passe de 62 à 36, soit une baisse de 42% !
La limitation drastique des représentants de chaque commune conduit à un conseil communautaire resserré autour des maires - uniques représentants des plus petites communes - et qui décident, en fait, de tout en bureau communautaire, sous le contrôle et l'impulsion des services. Et on sait que si les élus passent, les "administratifs" restent et ne sont, eux, à aucun moment "responsables devant les électeurs". Adieu donc la proximité : l’exécutif communautaire devient encore plus le terrain du jeu de "chaises musicales" pour le club élitiste et fermé des maires. Leur cumul des mandats (maire, vice-président de la communauté de communes) conduit à une semi-professionnalisation des élus, échappant à tout statut existant. S'agissant pour certains de patrons de PME, ils envisagent la gestion de la technostructure communautaire, comme celle d'une entreprise, et leur "gouvernance" est à l'avenant.

Certains se sont offusqués de la disparition des "oppositions" municipales au sein du conseil communautaire. Mais, bien avant même la fusion, le principe manifeste de fonctionnement du conseil communautaire était - comme n'importe quel conseil communautaire le montre - l’unanimisme sur les propositions (élaborées par les services) présentées par le bureau communautaire. Tout ceci ne peut évidemment fonctionner que dans le brouillage concerté des enjeux. Feu l’ancien clivage gauche/droite ne fonctionne plus qu’à usage externe, uniquement polémique, mais sans contenu alternatif. Ce qui fonctionne aussi très bien, c’est la défiance de principe à l'égard des centralités, chef-lieu et métropole du genre : "Ensemble contre Savenay ! " 


Et, finalement c'est l’environnement, ou "développement durable ", qui devient la base opportune et consensuelle d’une cohabitation cherchant avant tout "à ne pas faire de vagues". Mais c'est cependant au détriment de toute préoccupation sociale et d'une volonté de maintien des services publics. Les exemples du SPANC et de la Redevance incitative le démontrent. Le prix à payer de tous ces petits arrangements entre amis de bonne compagnie, c’est finalement celui d’une crise générale de la politique locale, avec des signaux répétés et de plus en plus forts qui devraient alerter bien davantage l'élite locale, de gauche comme de droite.

2. - Le décrochage démocratique : une crise de défiance en la démocratie locale délégataire

Les données électorales et politiques dans le périmètre d'Estuaire et Sillon qui semblent les plus pertinentes et utilisées ici sont celles des élections régionales de 2015. Parce que ce sont les élections locales les plus récentes, qu'elles donnent des indications homogènes et cohérentes à l'échelle de chaque commune, et dans des catégories politiques générales susceptibles de comparaisons.

2.a -  La part de l’abstention : une moitié de non-votants

De 2004 à 2015, l'abstention a augmenté d'un tiers (+33,6%) en Estuaire et Sillon.

Ce qui donne par commune :

Si on considère la barre de 50%, on observe que l'abstention est généralement plus faible
dans les communes plus marquées à gauche (Lavau-sur-Loire, Campbon, La Chapelle-Launay, Prinquiau).
Mais un taux plus fort de participation ne garantit pas pour autant l'ancrage à gauche à toutes les élections. 

2.b - La montée du vote d’extrême droite 

Au deuxième tour des élections régionales de 2015, où la liste FN a pu se maintenir, elle a atteint un quart ou plus des suffrages dans 4 des 11 communes d'Estuaire et Sillon : Prinquiau, Quilly, Le Temple de Bretagne et Bouée. Au premier tour, elle avait même été en tête dans ces deux dernières communes, Bouée et le Temple de Bretagne.


Listes en tête au premier tour des régionales 2015
Cette carte confirme qu'Estuaire et Sillon reste une terre de gauche dans le Nord-Loire (la liste PS-EELV étant en tête au 1er tour dans 8 communes sur 11), dans un environnement extra communautaire de droite au Nord et au sud Loire. Mais le trait d'union "rose PS" entre les agglos de Nantes et de Saint Nazaire - vieux rêve avorté de J-M Ayrault dans le cadre du SCOT - est en train de se déliter, subissant les assauts de la droite traditionnelle auquel s'ajoute la poussée du FN.

Le poids électoral respectif des grandes familles politiques est le suivant :
Légende : pour cette élection régionale 2015 : "extrême-gauche" = liste PCF Front de gauche; "gauche gouvernementale" = PS + EELV; droite gouvernementale = UMP (LR) + Modem; extrême droite = FN + Debout la France.
Les grandes tendances de 2004 à 2015 :


La chute du PS est patente. La droite est stable mais l'emporte.
Le poids du FN est croissant et rattrape  même celui de la droite gouvernementale.
Le PCF se maintient sous l'étiquette du Front de gauche. 

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