Loire et Sillon : bobos ou prolos ?



La commune de la Chapelle-Launay révise actuellement son PLU (Plan ou projet local d’urbanisme). Dans une première étape il s’agit d’abord d’établir un diagnostic du territoire. Et ce n’est pas une mince affaire : une bonne appréciation de l’identité socioterritoriale de la collectivité est en effet essentielle à cette occasion, car c’est d’elle que peuvent et doivent dépendre les politiques publiques locales, à diverses échelles (commune, intercommunalité, département, métropole, région…) pour les 10 – 15 ans à venir.

Le bilan du territoire pour la décennie écoulée fait en ce moment l’objet d’une exposition et d’une enquête publique. Inscrivons-nous au débat, pour commencer celui de l’appréciation des caractéristiques démographiques et sociales de la commune, et par extension de celles de la communauté de communes de Loire et Sillon, en cours de « fusion » avec celle de Cœur d’Estuaire.

Le bureau d’étude / agence Cittànova (http://cittanova.fr/), en charge de l’instruction du dossier, évoque une « mutation » sociale en cours à l’aide de certains chiffres de la population active au RGP (recensement général de la population) selon les CSP (catégories socioprofessionnelles) de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), entre les recensements de 2007 et de 2012. Une évolution de moyen terme, qui est allégrement extrapolée.


Le message (subliminal ?) de ce trop bref commentaire est clairement le suivant (souligné en rouge) : les ouvriers reculent nettement, alors que les cadres et professions intellectuelles supérieures augmentent. En d’autres termes, l’identité socioterritoriale de la collectivité mute : elle est de moins en moins ouvrière et de plus en plus « classes moyennes », les prolos cédant ainsi la place aux bobos, signe d’une « moyennisation » (montée des classes moyennes) du territoire.

Certes, convenons-en, les CSP de l’INSEE sont-elles imparfaites et insuffisantes. Mais ce n’est pas une raison pour les sélectionner pour leur faire dire plus ou autre chose que ce qu’elles peuvent dire. Or, ce n’est pas « la part des ouvriers » en % de la population active locale qui a reculé dans la commune, mais leur nombre (de 409 à 324, c’est exact, soit effectivement 20% en moins). Dans le même temps - et toujours en valeurs absolues - les employés augmentent un peu (de 353 à 388) et les professions intermédiaires restent stables (364 pour 356).

Cela dit, le graphique ci-dessous (Source CittàNova, PLU/PADD de la Chapelle-Launay) montre pourtant parfaitement, au premier coup d’œil, que la somme des ouvriers, des employées et des professions intermédiaires est et reste largement majoritaire dans le territoire.




Les chiffres complets de toutes les CSP de Loire et Sillon pour 2012 montrent en fait tout autre chose.




D’une part, la somme des CSP ouvriers, employés et professions intermédiaires, soit l’essentiel des couches populaires (auxquelles ont pourrait aussi ajouter la plupart des retraités) est majoritaire en Loire et Sillon. D’autre part, les écarts types des % de chaque CSP par rapport à l’ensemble de la France, s'ils montrent un déficit dans les catégories agriculteurs, cadres et professions intellectuelles supérieures, indiquent surtout des excédents, nets pour les professions intermédiaires, importants pour les ouvriers (qui ne sont donc pas « en net recul ») et toujours significatifs pour les employés.

Donc, ce que les chiffres montrent - que ça plaise ou non – c’est que Loire et Sillon est sociologiquement populaire – ce qui pour nous, n’est aucunement péjoratif, au contraire - même si les élites locales veulent croire et faire croire à sa « boboïsation ». Or, la représentation socio-idéologique qu’on peut s’en faire est loin d’être indifférente. Car s’ils croient à la « moyennisation » généralisée de la population locale, en classes relativement aisées, sinon nanties, les décideurs sont et seront en conséquence plus « naturellement » portés à minimiser l’impact de ce qu’ils décident, c’est-à-dire des augmentations de tarifs (ex. : redevance incitative), de la multiplication des contrôles (ex. : assainissement non-collectif) - tout cela sous couvert de la bonne cause consensuelle gauche-droite du « développement durable ». Ou, plus généralement, de l’augmentation du poids de la fiscalité locale sur une population estimée alors a priori tout à fait capable d’y faire face sans coup férir et de les absorber sans broncher.

Libre aux décideurs locaux qui nous gouvernent (élus communautaires, gestionnaires des services et technocrates des bureaux d’études) de croire et d’appuyer le mythe de la moyennisation sociale et de la boboïsation culturelle et idéologique des populations qu’ils régentent, que ce soit à travers leur "gouvernance" entrepreneuriale et élitiste, ou par leur volonté de gouvernementalité des subalternes. Quant à nous, nous continuons - chiffres réels et complets à l’appui - de penser et de dire que l’identité socioterritoriale de la population de nos communes est essentiellement populaire, même si on cherche et on a réussi en partie à lui en inculquer le pur et simple déni. Avec toutes les conséquences qu’il y aurait à en tirer, bien au-delà de la seule mise à jour du PLU. 

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