Un nouvel ouvrage d'Emmanuel Todd à pleinement prendre en considération, plutôt que de l'éreinter sans l'avoir lu... comme déjà récemment pour Houellebecq ("Soumission") ou Guilluy ("La France périphérique").
Ici, il s'agit d'une approche anthropologique méthodique, de long terme - faisant suite au "Mystère français" (avec Hervé le Bras) - à base de cartes (dessinant une "géographie" des manifestations du 10 janvier, voir la carte ci-dessous), de statistiques et d'analyses sociologiques, mais qui éclaire cependant bien l'actualité immédiate, bien au-delà de celle de Charlie seulement.
Le ton volontiers pamphlétaire a paru nécessaire à l'auteur (Cf. Introduction), pour soulever la chape du conformisme lénifiant ambiant, dans une approche critique radicale visant à contrebalancer l'influence, bien en cour élyséenne, des "think-tanks" du PS (Fondation Jaurès et Terra Nova), devenue une bien-pensance impérative. Une prise de risque - à la limite de la provocation jugeront certains - mais assumée car bien dans le rôle de l'intellectuel critique, pour autant qu'il ne se confine pas prudemment au confort académique du "mandarin" universitaire, soucieux de sa seule carrière et de sa renommée médiatique.
La carte des manifs Charlie du 10 janvier 2015 (p.70)
Du "catholicisme zombie"...
Avec - à presque chaque page - des suggestions pertinentes, notamment sur l'influence tardive du "catholicisme zombie", notamment dans le Grand Ouest, et la domination nationale du bloc hégémonique MAZ (classes Moyennes, personnes Âgées, catholiques Zombies, "force anthropologique et sociale née de la désagrégation finale de l'Eglise dans ses bastions traditionnels", p.55). Éclaire de la sorte la marginalisation des classes populaires et leur relégation dans les périphéries urbaines et rurales. "Christophe Guilluy a, avec beaucoup de réalisme, mis au cœur de sa représentation de la société française la relégation périphérique des classes populaires. Repoussées aux marges géographiques des espaces urbains, les ouvriers ne manifestent plus au cœur des villes" (p.100).
Avec - à presque chaque page - des suggestions pertinentes, notamment sur l'influence tardive du "catholicisme zombie", notamment dans le Grand Ouest, et la domination nationale du bloc hégémonique MAZ (classes Moyennes, personnes Âgées, catholiques Zombies, "force anthropologique et sociale née de la désagrégation finale de l'Eglise dans ses bastions traditionnels", p.55). Éclaire de la sorte la marginalisation des classes populaires et leur relégation dans les périphéries urbaines et rurales. "Christophe Guilluy a, avec beaucoup de réalisme, mis au cœur de sa représentation de la société française la relégation périphérique des classes populaires. Repoussées aux marges géographiques des espaces urbains, les ouvriers ne manifestent plus au cœur des villes" (p.100).
C'est ainsi que, pour lui, la France est bien en train de muter en un système oligarchique, qui n'est certes plus celui des 200 familles, mais une oligarchie de masse, "définie par un niveau éducatif supérieur et des revenus acceptables. Elle tient le pays, lui impose ses valeurs et ses rêves, rejette dans la proche banlieue les enfants d'immigrés, dans la banlieue plus lointaine et au fond des départements les milieux populaires français" (p.137).
... au "néo-républicanisme" oligarchique
Une comparaison édifiante entre le NON au Traité constitutionnel européen de 2005 et Charlie 2015 montre comment et combien les classes populaires ont d'ailleurs été drastiquement réduites au silence entre-temps : "Charlie est une vieille connaissance. Les forces sociales qui se sont exprimées le 11 janvier sont celles qui avaient fait accepter le traité de Maastricht. L'émotion née de la tuerie des 7 et 9 janvier a ressuscité, non la République, mais la coalition qui avait voté sa dissolution dans le nouvel ordre européen" (p.82-83).

Pour E.Todd, le "néorépublicanisme" dont Charlie marque l'émergence, est "une étrange doctrine, qui prétend parler la langue de Marianne mais définit dans les faits une République d'exclusion" (p.224). Cette néo-République, "plus proche de Vichy dans son concept que de la IIIe République, exige de certains citoyens un degré intolérable de renonciation à ce qu'ils sont" (p.225), les musulmans, les ouvriers, les communistes (p.122)... Il souligne le paradoxe d'une telle puissance collective des valeurs faibles (p.180).
A lire assurément, même si on n'en partage pas forcément toutes les formulations et les conclusions. En bref, une lecture sérieuse, salutaire et jubilatoire par moment, qui mérite mieux que les caricatures médiatico-superficielles auxquelles elle a donné lieu jusqu'à présent, comme autant de tentatives vaines - et souvent dérisoires - de contre-feux.
Emmanuel Todd, Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse, Seuil, 2015, 246 pages, 18 €
- Un encart publié dans l'Huma Dimanche du 13 mai 2015
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