Eté 42 : Marcel Cachin s'éclipse de la Chapelle-Launay vers la clandestinité à la gare de Savenay

Marcel Cachin - l'un des fondateurs du PCF au Congrès de la SFIO à Tours, en décembre 1920, devenu ensuite directeur  (de 1918 à 1958) du Journal L'Humanité fondé par Jaurès en 1904, a séjourné brièvement à la Chapelle-Launay pendant l'occupation. Un séjour en semi-liberté surveillée et qui s'est terminé par une opération audacieuse d'un petit groupe de trois jeunes résistants communistes parisiens, venus tout spécialement sur place pour l'exfiltrer vers Paris et la clandestinité. Au nez et à la barbe des Allemands et de la police de l'Etat Français de collaboration.

Mise à jour du 13 novembre 2020

Sénateur de la Seine déchu en 1939, pendant la Drôle de guerre, comme tous les parlementaires communistes - au prétexte de la signature du Pacte germano-soviétique, en août 1939  - Marcel Cachin avait 73 ans en 1942. Un an plus tôt, il avait été arrêté à son domicile breton par la Gestapo puis interné à la prison de la Santé à Paris, dans le quartier des otages. Mais suite aux nombreuses protestations, les Allemands l'avaient relâché. De retour dans sa Bretagne natale, où il était assigné à résidence, il restait toujours sous la menace d'une nouvelle arrestation. Aidé par les organisations clandestines du parti communiste, il avait abandonné sa maison de Plourivo, près de Paimpol et, après diverses péripéties, il s'était mis en attente à La Chapelle Launay avec son épouse. 


Marcel Cachin depuis 1939

Pour l’historien Michel Dreyfus, les Carnets de Marcel Cachin (Tome 4, 1934-1947) soulignent que le pacte germano-soviétique, les débuts de la seconde guerre mondiale ont été autant d’épreuves pour le vieux dirigeant communiste. Si, en fin de compte, il reste fidèle à son parti, il ne s’en interroge pas moins sur sa stratégie,  notamment les débuts de la lutte armée contre l'occupant allemand. Marginalisé, vivant dans la clandestinité, il ne joue durant la guerre qu’un rôle très limité (Le Monde Diplomatique, Juin 1998). 

Pour l'historienne Danièle Tartakowsky, "la signature du pacte germano-soviétique et ses conséquences valent à Marcel Cachin, qui ne s'est jamais senti aussi bien que dans les périodes d'ouverture et d'union, de se retrouver en porte à faux". Ses carnets s’interrompent le 17 septembre et ne reprendront qu'en 1945, pour d'évidentes questions de sécurité. Mais diverses pièces d'archives montrent cependant que Marcel Cachin persiste alors dans la ligne antifasciste antérieure, se réclamant d'une union nationale contre l’ennemi hitlérien, puis prend diverses positions en décalage avec la ligne officielle. Suscitant "l'inquiétude de la direction du parti qui craint, non sans raisons, des entreprises de déstabilisation menées par des élus en rupture de ban et soucieux de profiter de la figure emblématique de Cachin"  (Danièle Tartakowsky, Le mouvement social, n°191, 2000, p. 112).

A l’été 1942, une « première phase de l'opération urgente décidée par le PCF avait été réalisée par une équipe bretonne dirigée par Marcel Gelgon. Les deux époux Cachin aboutirent ainsi près de Savenay pour quelques semaines » (Carnets de Marcel Cachin, Tome 4, 1934-1947, page 40)". De là, "la direction monta une opération de grande envergure, menée par un commando de choc puisqu'il était composé de Pierre Georges (celui-là même qui avait tiré sur Moser), Stock et Foccardi. Après nombre de péripéties déjà racontées, par Jean Laffitte, le couple fut récupéré à Malakoff en banlieue parisienne" (Idem). Mais cette étape, la plus difficile et risquée de leur voyage restait encore à franchir : le retour vers Paris, pour une plongée dans la clandestinité totale.


Une nuit sous l'Occupation

Dans son livre "Une nuit sous l'occupation", Jean Laffitte en fait le récit, sur la base des témoignages recueillis auprès des acteurs de cette opération. A la fin de l'été 1942, une mission secrète est donc confiée par la direction clandestine du PCF (constituée de Jacques Duclos, Benoit Frachon et Charles Tillon) à un groupe de jeunes francs-tireurs français. Il s'agissait d'aller chercher Marcel Cachin en résidence surveillée à la Chapelle-Launay, près de Savenay en Loire Inférieure. La petite commune était pourtant très fréquentée par les soldats allemands de la forteresse sous-marine de Saint-Nazaire séjournant au camp de la vallée Mismy - où ils venaient se reposer en permission, à l'abri des bombardements alliés intensifs de Saint-Nazaire.

L'opération délicate fut confiée à Robert Dubois, qui avait la responsabilité de la direction des cadres, ce qui souligne l'importance que le parti clandestin donnait à cette mission. L'équipe chargée de la mener à bien fut constituée avec Fosco Focardi, dit Raymond, Henri Stock, dit Reims et Pierre Georges, dit Fabien. C'est lui qui, quelques mois plus tôt, avait marqué le début de la résistance armée communiste avec l'exécution d'un officier de la Kriegsmarine, sur le quai de la station de métro Barbès-Rochechouart, le 21 août 1941, à Paris.


Selon le récit que Raymond (Fosco Focardi) en fait à Jean Laffitte - en compagnie duquel il a refait, pas à pas, à Savenay ou à Nantes tous les chemins parcourus avec Marcel Cachin - "il faut faire vite. Très vite. Le moindre retard peut compromettre le succès de l'affaire", car "Marcel Cachin risquait d'être arrêté d'un moment à l'autre".

La maison ex-Desmars à la Géraudais (Chapelle-Launay)
dans laquelle Marcel Cachin à séjourné à l'été 1942
(avec l’aimable autorisation de son propriétaire actuel)



Etat en 1942, selon un acte notarié de 1975

La première description des lieux lui a été brossée en 1942 par Breton, dans un café de la place d'Italie, le "Clair de Lune", à Paris. "Ça, m’a-t-il dit, c’est la gare. Ça c’est le village où habite Marcel Cachin. Ça la maison… Tu dois d’abord te mettre dans la tête tous les noms. J’ai noté que la gare était celle de Savenay, à environ 40 kilomètres de Nantes. Le village s’appelait : La Chapelle-Launay et la maison qu’il nous fallait atteindre se trouvait légèrement en retrait de l’agglomération ». A l’écart du bourg, tout donne à penser qu’il s’agit donc de La Géraudais, 

Odette Guibert, érudite locale, nous précise que cette maison appartenait alors à "la famille Desmars dont le fils Jules a œuvré dans la Résistance. Ceci explique peut-être l'accueil discret d'un représentant communiste chez ses parents dans un endroit calme avec peu de voisins et un peu reculé. Jules Desmars a été fort longtemps le receveur des impôts indirects sur Savenay, son bureau était situé dans l'aile ouest du couvent des Cordeliers à Savenay. Il était, de plus, délégué départemental de l'éducation nationale (DDEN). je l'ai moi-même connu à ce titre, il m'a bien soutenue lorsque j'enseignais à la Moutonnière de Prinquiau." (Témoignage du 13 novembre 2020)

Raymond ajoute : « On pouvait parvenir à cette maison par deux routes. L’une, la plus courte, nous obligeait à traverser le village de La Chapelle-Launay dans toute sa longueur. L’autre, beaucoup plus longue, faisait un détour par le nord ; elle était plus tranquille mais passait juste devant la gendarmerie de Savenay ». La première correspond donc à l’actuel CD 17 qui traverse, de bout en bout, tout le bourg de La Chapelle-Launay vers le carrefour de la Sablière, à proximité de la voie ferrée et de la gare de Savenay ; la seconde est une plus petite route qui quitte directement les abords du bourg à la Géraudais, pour rejoindre discrètement Savenay, en passant par le Bas-Matz, en évitant soigneusement l’ancienne gendarmerie, située alors à l'emplacement actuel du collège Saint-Joseph, par la Butte des Vignes et Caprice .


Errata : l'emplacement de la gendarmerie est alors un peu plus au sud, à l'emplacement de l'actuel collège Saint-Joseph (précision apporté par Odette Guibert, le13 novembre 2020)





Ensuite, comme c'est relaté par Jean Laffitte dans son récit "Une nuit sous l'occupation..." (Editions sociales, 1972), suivant le scénario audacieux imaginé par Fabien, Marcel Cachin est reconnu dans la salle d'attente. Le groupe monte cependant bien dans le train, mais redescend aussitôt à contre-voie, où il monte dans une voiture pré-positionnée par des militants communistes Nantais qui l'attend et prend la direction de Nantes par la route dite localement "Route du milieu".

Entretemps, l'alerte a été donnée et le train en provenance de Savenay est longuement fouillé en gare de Nantes, en vain. Une fois la fouille terminée, le groupe monte alors dans le train en partance vers Paris. Mais il descendra avant, à la gare de Versailles-Chantiers, pour prendre la direction d'une plus sûre et complète clandestinité qu'à la Chapelle-Launay, au nord de Paris.


Sources :

Les carnets de Marcel Cachin, Tome 4, 1934-1947, publiés par le CNRS, sous la direction de Denis Peschanski, en 1997.
- Jean Laffitte, "Une nuit sous l'occupation, le récit exaltant d'un voyage audacieux en compagnie de Fabien et de Marcel Cachin", Coll. Souvenirs, Editions sociales, 1972
- Roger Bourderon et Germaine Willard, La France dans la tourmente 1939-1944, Editions sociales, Coll. L'Essentiel, 1980
- Jean-Yves Martin et Yann Vince (Org.), PCF et Résistance, mémoire et histoire en Loire-Inférieure, Actes de la Rencontre Nationale d'Histoire organisée par la Fédération de Loire-Atlantique du PCF, Cité des Congrès, Nantes, 3 décembre 1999, 2000, 200 pages.
- Odette Guibert : témoignage du 13 novembre 2020.


Commentaires

  1. Qu'un représentant du peuple défendant des idées d'égalité en soit réduit à raser les murs pour échapper à la hargne fasciste : faisons en sorte que cela ne revienne plus. Ce n'est pas dit, cela exige de construire une alternative au désepoir social, hors de l'austérité. Respect à tous les résistants.

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  2. Bon reportage, mais on aurait aimé connaître ce qui a amené Marcel Cachin à se réfugier à la Chapelle Launay, particulièrement dans la maison Desmars. Les occupants étaient-ils propriétaires des lieux? Avaient-ils un lien de parenté avec Cachin? Car c'était risqué pour eux aussi non?

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  3. Bon reportage, mais on aurait aimé connaître ce qui a amené Marcel Cachin à se réfugier à la Chapelle Launay, particulièrement dans la maison Desmars. Les occupants étaient-ils propriétaires des lieux? Avaient-ils un lien de parenté avec Cachin? Car c'était risqué pour eux aussi non?

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