De la redevance incitative à la syllogomanie forcée

Réguler le volume des déchets alimentaires et ménagers par la taille des contenants, jusqu'où est-ce possible ? Le volume compte, pour les poubelles aussi, et il nous coûte de plus en plus cher… Dans une récente Chronique du Cabinet des curiosités sociologiques, publiée dans la revue Pour la Science (n°446 déc. 2014. p.22, voir la page ci-dessous) sous le titre "Une question de taille" - alors que le titre initial était bien "La taille compte" - Gérald Bronner s'interroge ainsi : « comme la gestion de nos achats alimentaires exige des efforts cognitifs importants, nous les évaluons mal et gaspillons. Une solution consisterait-elle à réduire la taille des contenants ? » Professeur de sociologie à l'Université Paris-Diderot, il a publié récemment "La démocratie des crédules" (2013) et "La planète des hommes" (2014), dont nous avons rendu compte sur ce blog.

Réduire la taille des assiettes, des frigos... et des poubelles

Dans ce nouvel article, il en arrive rapidement à cette remarque : "Deux solutions sont possibles qui relèvent d'une approche volumétrique du problème. Soit l'on imagine des contenants infinis et l'on imagine que la notion [communiste] de "à chacun selon ses besoins" prévaudra? Soit on réduit la taille des assiettes. Seule la seconde solution étant envisageable, on imagine qu'en accord avec l'industrie, nombre de nos objets du quotidien pourraient être revisités pour inciter à une frugalité raisonnable sans qu'il soit nécessaire de promulguer des lois liberticides ou d'espérer d'improbables conduites vertueuses. Et pourquoi ne pas réduire aussi la taille moyenne des réfrigérateurs ?"... Et des poubelles.

Goulet d'étranglement

Car il y a cependant une hypothèse supplémentaire que l'auteur n'envisage pas et qui est pourtant d'ores et déjà mise en œuvre dans certaines collectivités territoriales, notamment dans le périurbain de Loire et Sillon, avec un zèle entêté, sourd aux objections. Celle qui consiste à tenter de contrôler non pas le volume de nos achats en amont, mais celui de nos déchets ménagers en aval, à travers la création d'un goulet d'étranglement resserré pour la collecte des ordures ménagères : par la réduction au minimum de la taille des poubelles, par l'augmentation drastique de la facturation des levées d’une poubelle, et donc la pression à la réduction du nombre des présentations des bacs aux passages de la benne, avant, pour finir, la réduction annoncée de la périodicité de ces passages...

Une syllogomanie forcée

Plus crédible que l'objectif général peu réaliste du "zéro déchet" pour et par tous, ce qui est visé c'est plutôt, on le découvre peu à peu, la rétention durable des déchets dans l'espace privé. Et si, comme le souligne G.Bronner, "notre nature paraît ainsi faite que nous chercherons toujours à remplir le vide que notre espace privé met à notre disposition", gérer ces espaces disponibles devient donc une question politique. Certains s’en chargent, les élus locaux unanimes, plus cyniques comme gestionnaires, que Diogène comme philosophe. Leur but inavoué ? Nous inoculer subrepticement le "syndrome de Diogène" - bien mal nommé car Diogène était un  philosophe grec antique SDF, sans aucun bien - en nous conduisant à une syllogomanie contrainte : au toc de la collection et de l’accumulation à notre domicile des sacs poubelles garnis de nos déchets ménagers.

Les voies du paradis vert, sous couvert d’une gestion technocratique auto-proclamée vertueuse, sont décidément pavées des plus calamiteuses intentions.


L'article de Gérald Bronner dans "Pour la science" :



Complément :

Sur Diogène, lire : « Diogène, nom d’un chien », de Hugues Lethierry (dir.), Ed. Petit Pavé, 2013.

Un livre ni dans la vulgarisation à tout va, ni dans l’érudition gratuite. Sur un classique grec penseur par qui éclatent le scandale et la vérité sur le mensonge social. On comprend avec lui la contradiction entre des mœurs peu ragoûtantes (le "cynisme" actuel) et la pensée philosophique présentée et connue dès l’Antiquité par des anecdotes sur sa "pauvreté choisie ». Ce clochard céleste crache ses mots à la face des carriéristes. Ce n’est pas un petit chien-chien qu’on cajole ! Il n’a pas la folie des vaches sacrées. Une mise à la question de notre existence, une satire du conformisme qui nous fait sacrifier la dignité au confort. Diogène n’est pas soluble dans la norme dominante
Les boulets rouges de ce franc-tireur 25 siècles après, donnent encore le tournis en moquant notre vacuité et fatuité...

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