Villes contestées : pour une géographie critique de l’urbain

Ville globale, ville créative, ville multiculturelle, ville intelligente... Autant de slogans à la mode qui imposent et diffusent une vision aseptisée et consensuelle des réalités urbaines. Les villes doivent au contraire être bousculées, chahutées, contestées.

C'est précisément ce que ce passionnant recueil se propose de faire en réunissant pour la première fois les textes traduits en français d'auteurs anglophones ou lusophones dont la réflexion n'épargne ni les espaces urbains, ni les élites qui les façonnent et les gouvernent. Ils constituent un panorama inédit et cohérent de la géographie radicale critique d'aujourd'hui voir le sommaire de l'ouvrage ci-dessous. Il ne pouvait évidemment pas être exhaustif : il y manque, par exemple, selon moi, Andy Merrifield ou Ana Fani Alessandri Carlos.

Souvent inspirées de la pensée urbaine et spatiale d’Henri Lefebvre (Le Droit à la ville, la Révolution urbaine, la Production de l’espace...) les analyses des auteurs retenus, portent entre autres sur la financiarisation de la production urbaine, sur les trompe-l’œil que représentent le développement durable, la mixité sociale ou le multiculturalisme, sur les dispositifs de surveillance et de contrôle des populations, et plus globalement sur les formes de domination qui régissent les rapports sociaux en ville. Les onze textes réunis dans ce recueil parviennent à identifier, et par là à contester les nombreuses contradictions spatiales et urbaines que le système capitaliste produit et reproduit. Ils nourrissent ainsi une géographie critique de l'urbain et, indirectement, une critique en profondeur des sociétés contemporaines.

Cet ouvrage, par sa double vocation académique et militante, participe ainsi du projet d’émancipation voulu par les géographes radicaux, et défendu sur le terrain par un nombre croissant de citadins en lutte dans les mouvements sociaux urbains. Il concrétise l’émergence en France d’une nouvelle génération de jeunes géographes fins connaisseurs des orientations et du potentiel heuristique et démocratique d’une géographie critique de notre temps.

On comprendra que je me réjouisse personnellement beaucoup de la publication en français d'un tel ouvrage, complémentaire de ceux dirigés par Hugues Lethierry ("Sauve qui peut la ville" en 2011, et "Agir avec Lefebvre" à paraître en 2015), moi qui plaide et milite depuis plus de vingt ans pour une géographie critique radicale française, sur des bases lefebvriennes.



Sommaire :
  1. - Les villes ordinaires de Jennifer Robinson, « vers des études urbaines postcoloniales ».
  2. - Melissa R. Gilbert :  Ce que l’espace dit et ce qu’il ne dit pas, « Race » espace et pouvoir : les stratégies de survie des travailleuses pauvres
  3. - David Harvey contre la ville entrepreneuriale. « Mutation du capitalisme et transformations de la gouvernance urbaine »
  4. - L’urbanisation néolibérale : une approche régulationniste par Erik Swyngedouw, Frank Moulaert et Arantxa Rodriguez,
  5. - Contre l’environnementalisme de bon ton par Roger Keil et Julie-Anne Boudreau, « Métropolitiques et métaboliques : l’étatisation des politiques écologiques ».
  6. - La police, le droit et la production de l’espace public, Bernd Belina : « Le droit pénal, moyen de gouverner les disparités urbaines »
  7. - Critique du multiculturalisme urbain par  Kanishka Goonewardena et Stefan Kipfer : « Espaces de la différence : réflexions sur le multiculturalisme, l’urbanisme bourgeois et la possibilité d’une politique urbaine radicale »
  8. - Neil Smith, géographe et militant pour le droit à la ville : « Gentrification et développement inégal »
  9. - Don Mitchell : « l’espace public droits et justice sociale ».
  10. - Marcelo Lopes de Souza : "Ensemble avec l'Etat, malgré l'Etat; contre l'Etat. Les mouvements sociaux, agents d'un urbanisme critique". 
  11. - Edward W. Soja, «  à la recherche de la justice spatiale »
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Cécile Gintrac et Matthieu Giroud (dir.), Villes contestées, pour une géographie critique de l’urbain, Ed. Les Prairies Ordinaires, 2014, 400 pages, 24 €.

Parmi tant de morts absurdes et désolantes du vendredi 13 novembre 2015, celle du géographe Matthieu Giroud, auteur d’une oeuvre déjà conséquente et remarquée.

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