Comme jamais notre époque est gorgée d'économie. Mais la "secte" des économistes rabâche - selon Bernard Maris (Oncle Bernard de Charlie Hebdo) qui la connait bien - "un discours hermétique et fumeux". Dans quelques décennies, "il apparaîtra invraisemblable que notre civilisation ait accordé autant d'importance à une discipline non seulement vide mais terriblement ennuyeuse, ainsi qu'à ses zélateurs, experts et journalistes, graphicomanes, aboyeurs, barons et débatteurs du pour et du contre. L'économiste est celui qui est toujours capable d'expliquer ex post pourquoi il s'est, une fois de plus trompé".
Heureusement, il reste les romanciers. "Toujours nous chercherons chez les écrivains, et particulièrement chez les romanciers, un fragment de la vérité de ce monde où nous sommes jetés et qui nous angoisse. Eux savent nous parler de la mort, de l'amour et du malheur - plus rarement du bonheur".
Que la société, et il vaudrait mieux dire l'humanité, meure de l'économie est ainsi la prévision de Michel Houellebecq. A l'origine du présent livre il y a eu pour B.Maris, la révélation de La carte et le territoire.
Ensuite, il lui a fallu décliner rétrospectivement les autres romans majeurs : Extension du domaine de la lutte parle du libéralisme et de la compétitivité. Les particules élémentaires du règne de l'individualisme absolu et du consumérisme. Plateforme de l'utile et de l'inutile et de l'offre et de la demande de sexe. La possibilité d'une île de la société post-capitaliste ayant réalisé le fantasme des "kids définitifs" que sont les consommateurs, la vie éternelle. Et chaque roman reprend le refrain des autres : la compétition perverse, la servitude volontaire, la peur, l'envie, le progrès, la solitude, l'obsolescence, etc.
A partir de là, la démarche du livre de Bernard Maris consiste à confronter les thèmes houellebecquiens aux grands maîtres historiques de l'économie. Elle comporte dès lors les étapes suivantes : Le règne des individus avec Alfred Marshall; l'entreprise et la destruction créatrice avec Joseph Schumpeter; les consommateurs insatiables; l'art et le travail, l'utile et l'inutile avec Marx et Fourier et, enfin "la véritable fin de l'histoire et la fin de l'espèce, autrement dit la fin du capitalisme" ou le capitalisme à bout avec T.R.Malthus.
La démonstration est magistrale, même si elle ne saurait évidemment avoir les mêmes attraits que les romans de Houellebecq !
Bernard Maris, Houellebecq économiste, Flammarion, 2014, 156 p., 14 €
A lire également sur ce blog : La carte et le territoire (8 nov 2010)
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L'avis d'Alternatives économiques :
Bernard Maris a la plume déliée, drôle et acide. Celui qui signe Oncle Bernard dans Charlie Hebdo nous fait rire, mais il ne faut pas s'y tromper : le monde qui l'entoure le déprime et la fatuité des économistes à croire qu'ils le comprennent mieux que les autres l'insupporte. Ce message est présent dans nombre de ses précédents livres. Il se trouve qu'en lisant ceux de Houellebecq, Maris a semblé trouver le même message : alors, allons-y pour un livre sur Houellebecq !
"Aucun écrivain n'est arrivé à saisir le malaise économique qui gangrène notre époque comme lui", assène-t-il d'emblée. Créant des passerelles inattendues entre le romancier et Alfred Marshall, Thomas Robert Malthus, John Maynard Keynes et d'autres, le livre dénonce la violence du marché, l'angoisse du capitalisme ou le cadre-consommateur ruinant le monde en voulant s'enrichir. Il rejette la science économique dominante, "où ne doivent régner que l'égoïsme, la cruauté et le cynisme. L'altruisme, la coopération sont des notions anti-économiques, comme la compassion, le don, la générosité et, bien entendu, l'acte suprême, l'amour".
Pour que le monde aille mieux, conclut Maris, il faudrait moins d'économistes et plus d'amour ! En sommes-nous capables ? Non. Oncle Bernard ne rit plus. Plus du tout. "Vous n'ouvrirez pas les yeux. Jamais vous ne balayerez la poussière grise des chiffres, de la pub, des slogans, qui macule vos yeux que vous ne pouvez déjà plus ouvrir."
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