L’européisme est devenu le pire ennemi de l’Europe. Ne voulant plus que « l’Europe » intransitivement, c’est-à-dire sans le moindre égard pour ses contenus concrets, prêt s’il le faut à martyriser des peuples entiers, en Grèce, au Portugal ou en Espagne, il est devenu une obstination aveugle auquel il est temps de mettre un coup d’arrêt.
Au-delà de ses pires désastres économiques, sa tare majeure, et congénitale, est politique : le déni absolu de toute expression des souverainetés populaires. Certains, à gauche, continuent cependant de croire qu’on pourra changer l’euro austéritaire en un euro social. Mais, la crise présente l’a assez démontré, une monnaie unique aimable suppose d’être parachevée par une union politique authentique… que l’européisme présuppose sur le mode de la pure pétition de principe sans jamais vouloir en analyser les exigeantes (et improbables) conditions de possibilité.
Aussi bien l’urgence économique et sociale que la disponibilité immédiate des institutions matérielles et symboliques de la souveraineté commandent alors de réexaminer de près l’option des monnaies nationales. Sous deux codicilles cependant : 1) reconstruire les concepts de souveraineté et de nation d’une manière qui les rendent irrécupérables par l’extrême-droite ; 2) réaffirmer que défaire la monnaie européenne, de toute façon aussi mortifère que non-viable, n’exclut nullement de continuer à œuvrer pour l’approfondissement résolu de tous les autres liens entre les peuples européens – et enfin de faire Europe autrement que par l’économie ! –, ni même de penser à refaire un commun monétaire européen, sous la forme non plus d’une monnaie unique mais d’une monnaie commune.
Frédéric Lordon, La malfaçon, monnaie européenne et souveraineté démocratique, Ed. Les Liens qui Libèrent, 296 p., 20,50 €
Sortir de la malfaçon monétaire européenne par le retour à
la souveraineté démocratique
Dans son avant propos, l’auteur précise de quoi il s’agit
ici, avec ce livre. De sortir de l’euro
pour rester dans le capitalisme ?
Ce qui est plus facile à clamer qu’à penser, précise-t-il. De restaurer
la souveraineté, pour la rendre à des
"représentants" ? De relancer la croissance, quand la planète
agonise ? Pour lui, « laisser s’approfondir la récession par
l’enthousiasme "décroissant", c’est raréfier un peu plus l’emploi,
priver les individus de l’accès à l’argent du salaire – et les jeter dans la
misère : Grecs et Portugais en parlent très bien ».
Pour F. Lordon, « ce dont les corps politiques
malmenés crèvent vraiment, c’est de ne plus pouvoir essayer, de s’être vu
retirer la possibilité d’essayer, et que restaurer cette possibilité est la
plus urgente, la plus impérieuse des exigences démocratiques ». Or,
« à l’évidence, on ne peut plus rien essayer dans le carcan de l’euro. En
vérité, il a été construit à cette fin : qu’on ne puisse rien y
essayer ! – en tout cas rien d’autre que ce que lui même a imposé, et si
merveilleusement réussi… C’est pourquoi il importe d'en sortir. Non pas de le
transformer pour en faire un euro riant, car on soutiendra ici, n’en déplaise à
la gauche européiste, que cette transformation là n’est pas possible. Non pas
donc continuer de rêver, l’arme au pied, d’une transformation qui n’arrivera
jamais, mais en sortir. En sortir pour restaurer la souveraineté populaire, c’est-à-dire
les conditions de possibilité de l’expérimentation, dans l’espace où les
institutions, matérielles et symboliques, en sont déjà tout armées,
immédiatement disponibles : l’espace national. Et puis aussi pour
envisager ultérieurement de refaire "quelque chose" en Europe, par
exemple non plus une monnaie unique, mais une monnaie commune ».
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