"Une action municipale capturée par les technocrates", tel est le surtitre d’un article de Fabien Desage et David
Guéranger publié en ce début d’année par le Monde Diplomatique (Janvier 2014,
pages 16-17). Pour ces chercheurs - dont nous avions rendu ici compte de leur
livre "La politique confisquée" (2011, Ed du croquant) - ce nouvel article, intitulé
« Rendez-vous manqué de la gauche et de la politique locale »,
constitue une mise à jour de cet ouvrage plus que jamais d’actualité.
Dépolitisation du local
Votée en catimini par l’Assemblée nationale en décembre dernier, la loi sur les métropoles constitue, selon le Monde diplomatique, « le dernier avatar des institutions intercommunales apparues dans le sillage de la décentralisation. Censées rapprocher les élus des citoyens, ces structures fonctionnent en fait dans une grande opacité. L’esprit de consensus qui y règne estompe les clivages politiques et permet la confiscation du débat au profit d’une technicisation de l’action publique ». Dans une autre article, Michel Koebel souligne, quant à lui, alors qu’il y a « cent dix sept fois plus de cadres que d’ouvriers » (titre de son article) chez les élus locaux, qu' " il ne faut pas minimiser les effets de l’appartenance sociale de ceux qui concentrent le pouvoir- fût-il local – sur le contenu même des politiques qu’ils mènent. On peut en outre douter de leur capacité à représenter d’autres catégories de population que la leur, ou que celles qui savent se faire entendre d’eux… et qui sont rarement éloignées de la leur ».
"Armée mexicaine"
Pour Fabien Desage et David Guéranger, la multiplication et le renforcement, ces vingt dernières années, des structures de coopération intercommunale ont joué un rôle majeur dans la dépolitisation du local. Désormais, l’opacité qui y règne repose, fondamentalement, sur le monopole accordé aux maires. « Pour être en mesure d’exercer un contrôle , ils préemptent les postes d’un exécutif intercommunal qui prend souvent l’allure d’une armée mexicaine ». Et, si le nombre de vice-présidents n’y suffit pas, « il existe une pléthore d’instances (commissions, conférences des maires, bureau, bureau restreint) qui permettent aux maires de faire prévaloir l’intérêt de leur commune à l’abri des regards extérieurs », dans le confort de l’entre-soi pour « des décisions à huis-clos, sans les habitants ni les militants ». C’est ainsi que les assemblées élues et délibérantes des collectivités territoriales (conseils municipaux, communautaires, généraux et régionaux) « se trouvent condamnés à entériner la plupart des décisions, réduites à un rôle de chambres d’enregistrement où se tiennent des débats de façade ».
Les partis politiques de gauche payent le prix fort d’un tel
fonctionnement antidémocratique : « faute d’information, les
militants se retrouvent privés des moyens d’interpeller leurs
représentants ; faute de perspectives offertes aux simples conseillers, la
crise des vocations militantes se
trouve aggravée et le renouvellement des élites politiques compromis ».
Bilan mitigé
Ces dommages démocratiques collatéraux incontestables seraient, soi-disant, compensés par plus de réactivité, de souplesse, d’efficacité. Or, les institutions locales affichent pourtant un « bilan mitigé ». Certes les "compétences" s’élargissent-elles, au point « qu’aucun domaine ou presque ne semble désormais leur échapper, du développement économique aux équipements culturels ou sportifs en passant par les politiques de l’habitat ».
Mais elles laissent largement de côté, d’une part, la fixation
des priorités en matière d’aménagement et, d’autre part, les politiques en faveur
des populations les plus fragiles. Or, pour les chercheurs, « cette
absence de politiques locales redistributives s’explique largement par les
règles de fonctionnement collégiales et prétendument non-partisanes qui
prévalent dans ces structures ».
Conclusion ? La décentralisation n’est pas démocratique au motif qu’elle rapprocherait mécaniquement la décision du citoyen ou qu’elle favoriserait la proximité. En l’état, la soi-disant démocratie des élus locaux née de la décentralisation, « a subordonné les politiques locales à des enjeux territoriaux plutôt que sociaux, consensuels plutôt que contradictoires, négociés plutôt que délibérés ». Si des espaces et des dispositifs plus démocratiques existent déjà, il reste à en inventer beaucoup d’autres pour faire vivre les oppositions et les débats, dans une démocratie de "l’intranquillité" (F.Pessoa).
Fabien Desage et David Guéranger , Rendez-vous manqué de la
gauche et de la politique locale, in le Monde Diplomatique (Janvier 2014, pages
16-17). 5,4 €
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