Kit de survie pour socialiste en milieu de gauche


L’auteur l’avoue dès l’exergue : « Je suis désolé, je ne suis pas socialiste, je ne peux pas l’être : je suis de gauche ! » Ce père fondateur des Guignols de l’Info s’adresse ici aux militants socialistes pour leur donner quelques conseils de survie quand ils sont invités : « Chaque fois qu’on te convie à un de ces repas du soir, il tourne au dîner de cons, on s’y moque de toi et on t’engueule. Alors, pour survivre à un dîner risqué, ce livre contient quelques conseils et deux ou trois vérités ». Si je n’ai jamais été fan de l’humour Canal +, il faut avouer  que, là, le verbe est bien acéré et touche juste.
Alors que Frédéric Lordon qualifie le PS de "droite complexée", et Emmanuel Todd cette gauche de "fraction modérée de la droite", pour Bruno Gaccio, « le PS est entré en soins palliatifs et tu n’y peux rien : il est vieux, usé, fatigué. Son heure est venue. Toi le militant, tu pars simplement avec l’eau du bain. » Il lui rappelle cruellement, à l’occasion, ceci : « tu ressens peut-être aujourd’hui ce que ressentait un militant communiste des années 80 : celui dont tu te moquais à l’époque, ce vieux con qui vivait dans sa réserve comanche de la place du Colonel-Fabien ».
A la question : mais c’est quoi être de gauche ?, il répond simplement : « Etre de gauche, c’est dessiner le point d’arrivée d’un projet qui prend en compte le plus grand nombre, l’idéal de ce projet s’il fonctionne comme prévu, pour y donner du sens et tracer un chemin "vers". A l’inverse, être de droite signifiant avoir le nez dans le guidon et gérer ce qu’il y a à gérer sans se poser la question du lendemain en d’autres termes que "demain est le même jour : on fait pareil" […] C’est comme ça et pis c’est tout, résume la pensée de droite. Quand la gauche organise à son tour l’impuissance, elle cesse d’être la gauche et devient la droite ». De gauche, c’est donc le mouvement vers quelque chose.
Mais, de Jaurès à Désir, qu’est-il donc arrivé au socialisme ? « Alors ce soir au dîner, tu vas dérouiller. Tu ne seras plus que chair à bonnes blagues et tu serviras de crachoir à frustrations. Le plus pathétique, mon ami mon camarade, mon champion, c’est lorsque, tel Cyrano, tu n’abdiqueras pas de cet honneur qu’on te fera d’être la cible ».
Pour les dîners avec les gens de droite, « débrouille-toi. Eux aussi ils t’engueulent mais pas pour les mêmes raisons ». Dans ce livre on trouvera, avant tout, quelques trucs pour éviter ou contenir les sujets de conversation qui fâchent, «  ceux pour lesquels le parti socialiste devrait se couvrir de cendre et nous apporter les clefs de Solférino, tête basse et corde au cou en implorant notre clémence ».
Successivement : sois dandy, assume tout avec un rien de condescendance agressive ; occupe le terrain avec des sujets masquants, à base de volubilité, à caractère ciblé, ou à contenu médical. Autres conseils : "fais peur", prétend que "l’Allemagne ne veut pas", "Sarkosize le dîner", ou "dis que tu connais un Grec", enfin "ose le point Godwin" !  A lire pour plus d’explications…
Le propos ironique devient souvent plus sérieux, notamment dans la conclusion. L’auteur montre qu’il n’est pas seulement le père des Guignols, mais qu’il est aussi devenu depuis, en 2012, membre actif de la fondation Roosevelt qui milite pour la régulation et la relance keynésienne.
A lire donc, et pas seulement pour l’humour. En tout cas, merci à mon petit fils Yoann qui m’a offert ce livre à Noël, sans qui je ne l’aurais sans doute ni acheté, ni lu, ne me sentant pas vraiment concerné, étant de gauche, mais pas socialiste ! Et pour ce qui est du "bashing" - y compris de la part de mes amis socialistes - ça fait bien longtemps que je ne crains plus rien.

Bruno Gaccio, « Petit manuel du survie à l’intention d’un socialiste dans un dîner avec des gens de gauche », 2013, Ed. Les Liens qui Libèrent, 9,90 €, 128 pages.

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