Que reste-t-il de la querelle scolaire et du vieux clivage entre "pédagogues" et "républicains" ? Les deux co-auteurs estiment, dans l’avant propos que « la tournure excessivement tranchée et de plus en plus schématique qu’a prise la querelle scolaire dans le débat public a eu tendance à occulter durablement des pans entiers de la réflexion nécessaire sur l’école. Ce faisant elle n’a guère contribué à éclairer les enjeux et les voies de la politique scolaire, qui s’est manifesté sous un jour particulièrement effacé ces dernières années. » Aujourd’hui il n’est plus temps de se demander si le niveau « baisse » ou s’il « monte », ni s’il faut mettre l’enfant ou le savoir au « centre » du système, ni s’il faut ou non introduire les nouvelles technologies à l’école.
Les auteurs et contributeurs, estiment, chacun à sa manière et pour des raisons qui sont les siennes, que « nous vivons un changement d’une ampleur comparable à celui qu’a provoqué en son temps, la diffusion de l’imprimerie : la « révolution numérique », le projet de « société de la connaissance », avec leurs promesses mais aussi et surtout, pour le moment, leurs dangers, placent de fait les systèmes scolaires, dans une position inédite, à la fois centrale et problématique. Dans ce contexte de modification profonde du rapport au savoir, les attentes à l’égard de l’école n’ont jamais été aussi fortes ; dans le même temps, les capacités de l’école à les satisfaire et sa légitimité même se voient plus que jamais contestées ». Résultat : une crise profonde de l’institution scolaire, tant du point de vue de ses finalités ou fonctions que du point de vue de ses modalités d’exercice, bien au-delà de la seule question dite des « rythmes scolaires ».
D’où leurs interrogations : n’avons-nous pas surtout besoin de méthodes et de repères que seule une école refondée, exigeante et ambitieuse peut cultiver à l’échelle d’une société ? Ne voit-on pas de plus en plus clairement que la « société de la connaissance » que l’on nous promet tend à se développer en fait comme une société du désapprentissage organisé et de l’irréflexion court-termiste ? Pour eux, si la « société de la connaissance » veut mériter son nom, elle doit se donner les moyens de former des individus autonomes et éclairés, capables de s’orienter dans la nouvelle époque numérique. Cette ambition devrait, selon eux, bien plus qu’elle ne l’est aujourd’hui, être portée au cœur des débats et des réflexions politiquer. Avec ce livre, ils entendent donc y contribuer.
Dans trois entretiens initiaux, les contributeurs invités donnent leur avis personnel sur ces questions. Philippe Meirieu dénonce la dangereuse alliance qui s’est nouée entre le projet néolibéral dominant, une conception comportementaliste de l’individu et une vision utilitariste du savoir et de la culture, alliance qui entre en contradiction de plus en plus flagrante avec la visée émancipatrice de l’école. Denis Kambouchner, quant à lui, estime qu’une nouvelle école est possible, qui doit se soucier, dès le premier âge, de la culture des enfants dans l’ensemble de ses dimensions. Enfin, Bernard Stiegler propose de considérer l’école comme ayant une finalité « pharmacologique », consistant à « prendre soin » des esprits, à en former les capacités d’attention profonde et de goût à travailler la fréquentation ordonnée des savoirs et des œuvres.
Les trois interlocuteurs en appellent ensuite à un usage éclairé et critique des technologies numériques, ce qui impliquent nécessairement à leurs yeux une formation exigeante, c’est-à-dire méthodique et encadrée. Elle ne peut se satisfaire d’un usage purement instrumental de ces outils, et doit donc s’inscrire dans un projet global de formation de l’individu au savoir, dont elle ne peut être dissociée. « C’est à cette condition qu’il sera possible de faire des technologies numériques des instruments du développement de la culture, et non pas d’abord d’adaptation passive à des exigences économiques » estiment les auteurs.
Concernant l’idéal démocratique de l’école, il apparaît que les systèmes scolaires sont traversés par des tendances et des fonctions pour partie contraires, entre la (re)production du corps social et le développement personnel de l’individu, entre la domination et l’émancipation, la « sélection » et l’ « égalité des chances »…
Dans une synthèse intermédiaire, les auteurs s’interrogent : quelle école pour la « société de la connaissance » ? Pour y répondre, il faut commencer par sortir l’école de l’enlisement du « débat » scolaire entre « pédagogistes » et « républicains ». Prendre pleinement la mesure du fait que l’on soit passé du monde du papier au monde sur écran, mais que pour l’instant, la « société de la connaissance » est surtout celle de la prolétarisation des esprits. Pour un « new-deal » de l’école, il faut des « maîtres numériques » cultivés et libres, alors que « prolétariser les maîtres comme on tend à le faire aujourd’hui, c’est, au contraire, saper les bases mêmes d’une école ambitieuse ». Les technologies numériques doivent être mises au service des ambitions scolaires.
Ce livre souligne que la question de l’avenir de l’école dans la société de la connaissance est bel et bien capitale et urgente. Pour les auteurs, en conclusion, « on ne peut se satisfaire de la situation actuelle : l’école a besoin d’une réforme, et d’une reforme profonde. Il faut néanmoins se garder de la précipitation et, sans céder aux sirènes illusoires d’un eldorado numérique, aborder cette question avec la prudence et la hauteur de vue nécessaires. A cet égard, si les vieux clivages du débat scolaire doivent être dépassés, les perspectives enthousiastes des grandes institutions internationales telles que l’OCDE doivent, elles, être regardées avec la plus grande circonspection. Si l’on tient à ce que ce nouvel âge numérique ne se développe pas dans le sens d’une plus grande soumission des modes de vie aux impératifs du marketing, du consumérisme et de l’adaptation permanente, l’école doit redevenir un lieu où l’on prend le temps d’apprendre et de se former, de manière aussi riche, profonde et rigoureuse que possible. L’école doit (re)devenir ambitieuse, c’est-à-dire qu’il faut réaffirmer avec force sa mission formatrice et critique, et lui redonner la place et l’attention qu’elle mérite dans le débat politique ».
Julien Gautier et Guillaume Vergne (org.), L’école, le numérique et la société qui vient, Ed. Mille et une nuits, 2012, coll. Les petits libres 204 p., 5,10 €.
Julien Gautier et Guillaume Vergne (org.), L’école, le numérique et la société qui vient, Ed. Mille et une nuits, 2012, coll. Les petits libres 204 p., 5,10 €.
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