Comme anthropologue, Marc Augé se
dit, dans ce petit livre synthétique et abordable, « professionnellement
interpellé, par les nouvelles formes de peurs et de solitude dont il constate
comme tout le monde l’apparition ». Pourtant, « si nouvelles
qu’elles soient et si complexe que soit leur mécanisme, elles gardent toutes à
ses yeux un air de déjà-vu ».
L’inventaire rapide des nouvelles peurs humaines, auquel
est consacrée la première partie, oblige à enregistrer la montée de formes de
violences relativement inédites.
Elles engendrent stress, panique
et angoisse. Dans une époque de diffusion accélérée des images et des
messages à la planète entière, elles s’ajoutent les unes aux autres, se
combinent et déteignent les unes sur les autres. Nous condamnent-elles pour
autant, alternativement ou simultanément,
à l’asphyxie ou au vertige ?
Non, estime l’auteur, car il y a
deux sortes de peurs : celles qui sont induites par l’ignorance et celles
qui sont déduites de la connaissance, ou, plus exactement « celles qui
sont induites par le fait de croire qu’on croit, c’est-à-dire par la foi, et
celles qui sont déduites du fait de savoir qu’on ne sait pas, c’est-à-dire de
l’esprit critique et scientifique ».
Beaucoup de phénomènes de société,
aujourd’hui, sont dus à l’ignorance et à ses peurs associées, et c’est à ce
titre qu’ils font peur. Or si rien n’est plus redoutable que la peur née de
l’ignorance, il n’y a pas d’autres remèdes que l’idéal des Lumières.
Dans l’expression d’une préoccupation
intime et personnelle, on entend dire souvent : « j’ai peur pour
l’avenir de mes enfants et de mes petits-enfants », Certes c’est une
manière de parler, une façon de dire les choses, mais « il faudrait à
la jeunesse un caractère bien trempé pour ne pas être impressionnée par le
déferlement des visions d’apocalypse qu’on lui impose ».
Cette réflexion s’achève
cependant sur quelques notes d’espoir, car l’histoire de l’humanité ne saurait
se réduire à celle de ses fléaux récurrents et plus récents. Il ne s’agit
pas là d’ « une maladie auto-immune : tout au contraire, elle
produit ses propres antidotes : la curiosité, les progrès de la
connaissance, quelques élans de fraternité, des essais de rapprochement et, au
total, la conscience encore incertaine d’un devenir commun – tous signes qu’il
serait déraisonnable et même criminel de vouloir négliger ou ignorer ».
Pour dépasser les peurs
contemporaines, « on se prend parfois à rêver d’une politique
véritablement, c’est-à-dire modestement, scientifique : orientée vers
l’avenir, expérimentale et non dogmatique ».
Il y aura donc bien un au-delà de
nos grandes peurs actuelles, car l’histoire n’est pas finie, même s’il reste
vrai qu’elle a toujours été violente. « Elle connaîtra d’autres
violences, et le fait qu’elle reste une histoire "à suivre" peut donc
prêter à l’optimisme ou au pessimisme, disons un optimisme lucide et relatif.
Les humains n’ont donc pas fini d’avoir peur, ni d’espérer. L’histoire est
toujours au-delà des peurs et de l’espoir », conclut l’auteur.
Marc Augé, Les Nouvelles Peurs, Manuels Payot, 2013, 96 p., 10 €
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