Dans les nombreux
travaux consacrés à la crise, le facteur territorial est peu présent,
voire carrément absent. Si on évoque
incidemment la dimension géographique des phénomènes économiques et sociaux,
c’est dans le seul registre des conséquences, comme si le territoire n’était
que le champ d’épandage de la crise, le lieu passif de ses retombées, un objet
et non un sujet. Or, montre Laurent Davezies dans cet ouvrage, la fracture territoriale
existe bel et bien. Elle menace même de devenir un gouffre .
L’idée qui domine c’est qu’en
trente ans la fracture territoriale est venue creuser la fracture sociale. Si
les métropoles ont gagné à la mondialisation, dit-on, les territoires du "désert
français" ont été les grands perdants. C’est faux, souligne l’auteur, même si
force est de constater que la lutte contre les inégalités territoriales et la
lutte contre les inégalités sociales se sont en effet découplées.
Les deux crises successives que
vient de connaître le pays sont dès lors porteuses d’un nouveau régime d’inégalités pour
les années à venir. Le choc de 2008-2009 et la crise de la dette qui s’est
ouverte en 2011 ont produit, et continueront de produire, des effets très
asymétriques sur les territoires, fragilisant encore plus les plus vulnérables,
tandis que les effets amortisseurs bénéficieront à ceux qui étaient, et qui
seront, les moins atteints. Ces mutations montrent également que la crise n’est pas
réductible aux seuls dysfonctionnements du capitalisme.
Ce livre propose un triple point
de vue sur les difficultés que la France rencontre aujourd’hui.
Interterritorial, en ce qu’il révèle la fragmentation spatiale à l’œuvre ;
politique, parce que la déstabilisation de certains territoires ancre
durablement le niveau de l’abstention et la montée du vote FN. La
segmentation du territoire recompose les formes du désarroi social et annonce
l’avènement de nouvelles expressions politiques ; prospectif, car la mise à la
diète de la dépense publique et l’énergie chère annoncent un ébranlement
profond des territoires périurbains.
Au milieu de ces transformations,
nous voyons apparaître une nouvelle carte : celle de la France en crise des
années 2010-2020. Cette crise serait alors le fossoyeur de l’égalité
territoriale à la française, sans oublier ses conséquences politiques, puisque
c’est la déstabilisation des certains territoires qui entraîne la montée des
populismes.
Pourtant, selon l’auteur, le
retour de la croissance, la reconversion audacieuse de certains bassins
d’emploi, l’accélération des mobilités résidentielles, les mécanismes de
solidarité horizontale, en complément des solidarités verticales habituelles,
peuvent préserver une France territorialement équitable.
Laurent Davezies, La Crise qui vient : la nouvelle fracture territoriale, Seuil, Coll. La République des idées, 118 p., 11,80 €
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