
Au cœur du grand cirque électoral présidentiel
On ne trouvera donc pas ici une
analyse des enjeux, des stratégies, des
choix. Car le seul but avoué de la campagne c’est de tout faire et tout dire pour
l’emporter. D’où un récit plutôt
chaotique, vu de l’intérieur, du déroulement, jour après jour, du grand cirque
électoral présidentiel, dans l’un des deux camps de la bipolarisation. Au point
même de déboussoler un peu le suiveur : « je suis officiellement
censé suivre le candidat comme son ombre, la presse affirme que François
Hollande a trouvé son Yasmina Reza et que je ne le lâcherais pas d’une semelle
mais, en général, je découvre son emploi du temps dans le journal ».
Mais plusieurs personnes de son entourage lui disent « nous
aussi ! » . Apparemment, « Hollande n’est pas un modèle
d’organisation, il aime improviser, décider au dernier moment, et il est dur à
suivre, même par son équipe qui est laissée dans le flou. » (p.41).
Ce n’est certes pas d’aujourd’hui
qu’une campagne présidentielle est, incontestablement, génératrice de phénomène
de cour. Sans même parler du rôle clé de la compagne présidentielle, l’auteur confirme
cette dérive : « On me demande souvent si je sens une ambiance de
courtisanerie autour du candidat. Non seulement je la sens, mais j’ai la
désagréable conscience d’y prendre part. Tous, nous cherchons sans arrêt à nous
approcher le plus possible du prince d’Orange, espérant un signe, attendant
d’être invités dans sa loge, quémandant un entretien, sollicitant humblement
son attention sur telle ou telle requête, avec certes des motivations diverses
pour les politiques, les journalistes, les photographes ou moi-même, mais le
résultat est sensiblement le même : on veut tous être dans la même
bagnole. » (p.247)
Aveux d’acteurs
Pourtant, on trouve dans ce récit
de campagne, les verbatim de réunions internes de la direction nationale
du PS ou de l’équipe hétéroclite de campagne. Le moins qu’on puisse dire, c’est
que les considérations tactiques du moment l’emportent toujours largement sur
les débats au sujet des grands choix stratégiques, dans la perspective d’une
éventuelle victoire.
Par exemple, pour Martine Aubry,
fin décembre 2011, « le risque,
c’est de donner l’impression qu’il ne peut rien se passer, qu’on n’a pas de
marge de manœuvre, que nous ne sommes pas les porteurs d’un autre chemin … ». À quoi elle ajoute : « les candidatures de gauche, c’est tout à
fait normal qu’il y en ait, même si c’est la première fois que le PC présente
un candidat socialiste. En revanche, on ne peut pas accepter qu’ils nous
démolissent » (p.90).
Chemin faisant, s’ensuivent des rencontres et des confidences variées.
Avec des personnalités socialistes plus ou moins connues. Entre autres, Vincent Peillon, « qui me
retrace au débotté un historique du PS en regard duquel les Atrides sont une
bande de joyeux rigolos » indique l’auteur. Avec cette remarque de
l’interviewé :« c’est surprenant, l’importance des relations
personnelles en politique. Oui, c’est beaucoup plus important que les
considérations idéologiques, qui interviennent finalement assez peu »
(p.107). Misère de la social-démocratisation où les questions de personnes l'emportent sur toute autre considération !
Moins connu, Aquelino Morelle – l’une des "plumes" de
Hollande dans la campagne - se
souvient qu’au moins, « avec Jospin, c’était carré, on sentait
vraiment l’héritage de sa culture trotskyste, chacun savait ce qu’il avait à
faire. Avec Hollande, euh, pour être gentil, on va dire que c’est moins cadré. »
(p.120)
Quid de "Jean-Luc" ?
L’auteur lui-même avoue son
problème avec Mélenchon. Parfois il se dit tenté par le vote sur son nom,
notamment après le meeting de Villeurbanne où le candidat Front de Gauche a
cité une page entière des Misérables de Victor Hugo (p.155-156).
Pour Benoît Hamon, « Mélenchon,
c’est un mec qui a un gros ego – un de plus vous me direz !- et il se
sentait méprisé, à juste titre, par les technos du Parti » (p.81). Selon
Vincent Peillon, au lendemain de la prestation de Mélenchon du 11 janvier sur
France 2 : « il n’a pas gagné une voix hier ! Moi je l’aime
bien Jean-Luc, mais il est fou. Les talonnettes de Pujadas ! C’était d’une
violence ! » (p.112).
Claude Bartolone, le 13 avril, concernant
« Mélenchon, je me souviens, en janvier 2005, il fait un grand meeting
pour le non à Toulouse. En sortant, après avoir parlé devant tous ces
communistes, on sentait que ça lui avait plu, c’est là qu’il m’a dit qu’un
jour, il se présenterait à la présidentielle. Ce qui a compté, aussi, c’est
l’exemple de Die Linke, en Allemagne : il voulait faire comme Oskar
Lafontaine. Pour moi, l’idéal, c’est Mélenchon à 11%. Jusqu’à 14, ça va. A 15%,
on perd. Parce que ça veut dire que mécaniquement, François est plus bas ».
(p.245-246).
De F. Hollande lui-même, le 29
mars, en off aux journalistes : « Jean-Luc s’est lancé dans
une bataille contre Marine Le Pen. Je n’ai rien contre cet objectif mais moi,
mon problème est un problème de second tour, pas de premier tour. Il faut se
garder de tout débat contradictoire avec Mélenchon ». (p.225).
Enfin, le candidat une fois élu,
le 6 mai, à la question de l’auteur sur la présence des drapeaux du Front de
Gauche, et au plein milieu, cette pancarte pour la retraite à 60 ans du
PC : « Oui, je l’ai vue ! J’ai hésité à remercier le PC et
puis finalement je me suis dit bof… » (p.306). Avec le Front de
Gauche, le PCF est donc bien devenu le parti bof !
Que retient finalement l’auteur
de cette campagne de François Hollande ?
« J’ai noté ça chez lui : ce qu’on prend trop souvent pour
de la jovialité masque une ironie fondamentale dont il ne se départit que dans
des circonstances exceptionnelles, quand la gravité du moment l’exige. Il y a
très souvent dans sa voix, pour qui y prête attention, l’indice d’une distance
à soi-même et aux événements que je n’ai pas observé chez les autres, comme
l’aveu qu’il n’est pas dupe de toute cette comédie humaine dans laquelle
pourtant il a voulu jouer un rôle de
premier plan » (p.192). Ce n’est pas rien , mais c’est tout de même un
peu maigre. Beaucoup de bruit pour peu de chose, en somme.
De cette lecture on retire inévitablement
le sentiment que si rien ne s’est passé comme prévu dans la campagne de
François Hollande, cela éclaire d’une certaine lumière l’impression actuelle de
vacuité et d’improvisation du pouvoir socialiste qui en est pourtant issu.
Laurent Binet, Rien ne se passe comme prévu, Grasset, 2012, 310 p., 17€
Laurent Binet, Rien ne se passe comme prévu, Grasset, 2012, 310 p., 17€
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