Hollande 2012 : rien de ce qui se passe n’était prévu


Ce livre, qui raconte la campagne présidentielle 2012 de François Hollande, a comme référence obligée celui  de Yasmina Reza, L’Aube, le Soir ou la Nuit, portant, lui, sur la campagne de Nicolas Sarozy en 2007. Mais, s’interroge l’auteur Laurent Binet dès octobre 2011 dans ce nouveau journal de campagne, Rien ne se passe comme prévu : « je ne sais pas si Yasmina Reza, après avoir suivi Nicolas Sarkozy toute la campagne de 2007, a fini par voter pour lui », alors qu’il trouve « qu’elle avait gardé dans son livre une distance de bon aloi. Je sais déjà que je ne serai pas capable d’une telle distance », avoue-t-il d’emblée (p.21). À l’occasion de la primaire socialiste de l’automne 2011, il « observe, fasciné, l’altération progressive de [sa] subjectivité » (p.22). Et puis, « si vous voulez de l’objectivité, il a les résultats sportifs ». C’est dit. Dans cette logique, début janvier 2012, l’auteur note dans Le Monde du 3 janvier, cette déclaration de candidat Hollande : « Il n’y a pas de mesure que je sortirai du chapeau », réagissant ainsi : « Super. » (p.97).

Au cœur du grand cirque électoral présidentiel

On ne trouvera donc pas ici une analyse des  enjeux, des stratégies, des choix. Car le seul but avoué de la campagne c’est de tout faire et tout dire pour l’emporter. D’où un  récit plutôt chaotique, vu de l’intérieur, du déroulement, jour après jour, du grand cirque électoral présidentiel, dans l’un des deux camps de la bipolarisation. Au point même de déboussoler un peu le suiveur : « je suis officiellement censé suivre le candidat comme son ombre, la presse affirme que François Hollande a trouvé son Yasmina Reza et que je ne le lâcherais pas d’une semelle mais, en général, je découvre son emploi du temps dans le journal ». Mais plusieurs personnes de son entourage lui disent « nous aussi ! » . Apparemment, « Hollande n’est pas un modèle d’organisation, il aime improviser, décider au dernier moment, et il est dur à suivre, même par son équipe qui est laissée dans le flou. » (p.41).
Ce n’est certes pas d’aujourd’hui qu’une campagne présidentielle est, incontestablement, génératrice de phénomène de cour. Sans même parler du rôle clé de la compagne présidentielle, l’auteur confirme cette dérive : « On me demande souvent si je sens une ambiance de courtisanerie autour du candidat. Non seulement je la sens, mais j’ai la désagréable conscience d’y prendre part. Tous, nous cherchons sans arrêt à nous approcher le plus possible du prince d’Orange, espérant un signe, attendant d’être invités dans sa loge, quémandant un entretien, sollicitant humblement son attention sur telle ou telle requête, avec certes des motivations diverses pour les politiques, les journalistes, les photographes ou moi-même, mais le résultat est sensiblement le même : on veut tous être dans la même bagnole. » (p.247)  

Aveux d’acteurs

Pourtant, on trouve dans ce récit de campagne, les verbatim de réunions internes de la direction nationale du PS ou de l’équipe hétéroclite de campagne. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les considérations tactiques du moment l’emportent toujours largement sur les débats au sujet des grands choix stratégiques, dans la perspective d’une éventuelle victoire.
Par exemple, pour Martine Aubry, fin décembre 2011, « le risque, c’est de donner l’impression qu’il ne peut rien se passer, qu’on n’a pas de marge de manœuvre, que nous ne sommes pas les porteurs d’un autre chemin … ». À quoi elle ajoute : « les candidatures de gauche, c’est tout à fait normal qu’il y en ait, même si c’est la première fois que le PC présente un candidat socialiste. En revanche, on ne peut pas accepter qu’ils nous démolissent » (p.90).

Chemin faisant, s’ensuivent des rencontres et des confidences variées. Avec des personnalités socialistes plus ou moins connues. Entre autres, Vincent Peillon, « qui me retrace au débotté un historique du PS en regard duquel les Atrides sont une bande de joyeux rigolos » indique l’auteur. Avec cette remarque de l’interviewé  :« c’est surprenant, l’importance des relations personnelles en politique. Oui, c’est beaucoup plus important que les considérations idéologiques, qui interviennent finalement assez peu » (p.107). Misère de la social-démocratisation où les questions de personnes l'emportent sur toute autre considération !
Moins connu, Aquelino  Morelle – l’une des "plumes" de Hollande dans la campagne -  se souvient qu’au moins, « avec Jospin, c’était carré, on sentait vraiment l’héritage de sa culture trotskyste, chacun savait ce qu’il avait à faire. Avec Hollande, euh, pour être gentil, on va dire que c’est moins cadré. » (p.120)

Quid de "Jean-Luc" ?

L’auteur lui-même avoue son problème avec Mélenchon. Parfois il se dit tenté par le vote sur son nom, notamment après le meeting de Villeurbanne où le candidat Front de Gauche a cité une page entière des Misérables de Victor Hugo (p.155-156).
Pour Benoît Hamon, « Mélenchon, c’est un mec qui a un gros ego – un de plus vous me direz !- et il se sentait méprisé, à juste titre, par les technos du Parti » (p.81). Selon Vincent Peillon, au lendemain de la prestation de Mélenchon du 11 janvier sur France 2 : « il n’a pas gagné une voix hier ! Moi je l’aime bien Jean-Luc, mais il est fou. Les talonnettes de Pujadas ! C’était d’une violence ! » (p.112).
Claude Bartolone, le 13 avril, concernant « Mélenchon, je me souviens, en janvier 2005, il fait un grand meeting pour le non à Toulouse. En sortant, après avoir parlé devant tous ces communistes, on sentait que ça lui avait plu, c’est là qu’il m’a dit qu’un jour, il se présenterait à la présidentielle. Ce qui a compté, aussi, c’est l’exemple de Die Linke, en Allemagne : il voulait faire comme Oskar Lafontaine. Pour moi, l’idéal, c’est Mélenchon à 11%. Jusqu’à 14, ça va. A 15%, on perd. Parce que ça veut dire que mécaniquement, François est plus bas ». (p.245-246).
De F. Hollande lui-même, le 29 mars, en off aux journalistes : « Jean-Luc s’est lancé dans une bataille contre Marine Le Pen. Je n’ai rien contre cet objectif mais moi, mon problème est un problème de second tour, pas de premier tour. Il faut se garder de tout débat contradictoire avec Mélenchon ». (p.225).
Enfin, le candidat une fois élu, le 6 mai, à la question de l’auteur sur la présence des drapeaux du Front de Gauche, et au plein milieu, cette pancarte pour la retraite à 60 ans du PC : « Oui, je l’ai vue ! J’ai hésité à remercier le PC et puis finalement je me suis dit bof… » (p.306). Avec le Front de Gauche, le PCF est donc bien devenu le parti bof !

Que retient finalement l’auteur de cette campagne de François Hollande ?  « J’ai noté ça chez lui : ce qu’on prend trop souvent pour de la jovialité masque une ironie fondamentale dont il ne se départit que dans des circonstances exceptionnelles, quand la gravité du moment l’exige. Il y a très souvent dans sa voix, pour qui y prête attention, l’indice d’une distance à soi-même et aux événements que je n’ai pas observé chez les autres, comme l’aveu qu’il n’est pas dupe de toute cette comédie humaine dans laquelle pourtant il a voulu jouer un rôle  de premier plan » (p.192). Ce n’est pas rien , mais c’est tout de même un peu maigre. Beaucoup de bruit pour peu de chose, en somme.

De cette lecture on retire inévitablement le sentiment que si rien ne s’est passé comme prévu dans la campagne de François Hollande, cela éclaire d’une certaine lumière l’impression actuelle de vacuité et d’improvisation du pouvoir socialiste qui en est pourtant issu.

Laurent Binet, Rien ne se passe comme prévu, Grasset, 2012, 310 p., 17€

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