Pour le philosophe Slavoj Žižek les idées vraies sont
éternelles. Or les menaces écologiques, économiques et cybernétiques qui pèsent
aujourd’hui sur nous font surgir la chance unique de réaffirmer quelques
enseignements qu'on prétendait engloutis dans le bain de sang de l'histoire. Et
ce qui aurait dû être mort et enterré, ce qui a été discrédité de fond en
comble, opère sous nos yeux un retour en force.
Dans le préambule de cette
nouvelle édition en Français, l’auteur souligne cependant que « long
est le chemin qui reste à parcourir, et nous allons bientôt devoir affronter
les questions véritablement épineuses, portant non sur ce dont nous ne voulons
pas, mais sur ce que nous voulons réellement. Quelle forme d'organisation
sociale peut remplacer le capitalisme actuellement existant ? De quel
nouveau type de dirigeants avons-nous besoin ? Et quels organes, y compris
ceux de contrôle et de répression, seront nécessaires ? Il est clair que
les alternatives du XXéme siècle n'ont pas fonctionné. Même s'il est
exaltant de connaître les plaisirs de l' "organisation horizontale",
de s'immerger dans les foules protestataires, foyers de solidarité égalitaire
et de débats bouillonnants, ces derniers devront non seulement fusionner autour
de quelques signifiants - maîtres, mais aussi fournir des réponses concrètes à
la vieille question léniniste : "Que faire ?" »
Il se livre ici dans cet objectif à un
vibrant plaidoyer en faveur d’"intellectuels radicaux", des penseurs que la "police
philosophique" a un peu trop vite jugés antidémocrates.
Successivement : Platon et son "roi philosophe" ; Nietzsche
et sa "volonté de puissance" ; Heidegger tenté par le
national-socialisme ; et Foucault enthousiasmé par la révolution
iranienne. A travers eux, Žižek renverse les perspectives : il dissèque leurs
dérives, "sur le fil du rasoir", comme autant de "bons pas dans
la mauvaise direction", avec l’objectif de nous rappeler, sous un jour
nouveau, tout le "potentiel émancipateur des échecs passés".
Avec ce nouvel ouvrage combatif, d’une profusion foisonnante
difficile à résumer, Žižek cherche le noyau de vérité des causes prétendument
perdues et délivre un véritable acte de foi. Il trace des voies politiques
concrètes, celle d‘une "version réinventée de la dictature du
prolétariat" fondée sur le volontarisme, d’une justice strictement
égalitaire et de la confiance retrouvée dans le peuple.
Celle des "causes perdues" qui l’intéresse le
plus est à l'évidence celle du communisme. Avec cette conclusion : « De
nos jours, le communisme ne désigne pas tant une solution qu’un problème ;
la problématique des communs dans toutes ses dimensions – celle des communs de
la nature comme substance de nos vies, celle de nos communs biogénétiques, de
nos communs culturels (la "propriété intellectuelle"), et surtout la
problématique des communs en tant qu’espace universel de l’humanité duquel nul
ne devrait se voir exclu. C’est pourquoi, notre horizon doit rester communiste
– non comme un idéal inaccessible, mais en tant qu’espace mental dans lequel
nous évoluons. Est-ce impossible ? Notre réponse devrait inverser le
paradoxe du fameux slogan : "soyons réaliste, demandons
l’impossible". Aujourd’hui, la véritable utopie est de se convaincre que
nous serons capables de résoudre nos problèmes par de modestes transformations
du système existant. L’unique option réaliste consiste à accomplir ce qui
semble impossible à l’intérieur de ce système.
L’horizon communiste est peuplé des siècles de rébellions
radicales d’inspiration égalitaire qui, de Spartacus à nos jours, ont échoué –
oui, toutes ont été des causes perdues, mais, comme Chesterton l’a écrit dans Le
Monde comme il ne va pas, "les causes perdues sont précisément celles
qui auraient pu sauver le monde" ».
Slavoj Žižek, "Pour défendre les causes
perdues", Flammarion, 2012, 375 p., 26 €.
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