Médias en campagne, campagne des médias


Dans un entretien au "Monde Télévision", Jean-Louis Missika, sociologue des médias, analyse les rapports entre la télévision et les politiques, au cours de cette campagne présidentielle (Extraits)
- Cette campagne électorale était-elle vide et ennuyeuse ? Le temps médiatique a tendance à générer l'oubli. Elle a démarré très tôt, en septembre, avec la primaire socialiste. Suscitant une immense curiosité. Elle a fait participer les électeurs de gauche au choix de leur candidat, elle a alerté l'ensemble des électeurs sur l'échéance présidentielle et permis à François Hollande d'engager sa campagne bien avant Nicolas Sarkozy. Le grand succès d'audience des débats de cette primaire a prouvé l’existence d’un intérêt des Français pour la politique. Et la participation électorale aux deux tours le confirme.
- La télévision a-t-elle joué son rôle ? En cinq ans le paysage audiovisuel a beaucoup changé avec la croissance des chaînes info en continu. Elles ont obligé les chaînes traditionnelles à consacrer plus de temps aux événements politiques. Mais les chaînes tout info en veulent toujours plus, et, pour faire de l'audience, elles créent et survendent elles-mêmes des événements, même quand cela ne se justifie pas. Elles sont dans l'instantané, à la différence d'un "20 heures" qui peut se préparer tout au long de la journée, et elles usent les thèmes et les sujets. Cela contribue à la volatilité de l'agenda politique. Si les thèmes changent trop vite et trop souvent, le grand public a beaucoup de mal à suivre la campagne et à se forger une opinion. Ce phénomène a été amplifié par Nicolas Sarkozy, qui a fait de l'imprévisibilité une stratégie.
- Peut-on dire qu'il y a une convergence des médias ? Il y a surtout une convergence entre le message et la réaction au message. Comme si le temps de l'imprégnation et de la mise à distance de l'information devait absolument disparaître. Chaque événement chasse l'autre, l'oubli fait partie du jeu, la délibération politique s'efface au profit de la sensation politique.
- Comme l'affaire Mohamed Merah ? Oui. Cette affaire a occupé la totalité de l'espace médiatique pendant une dizaine de jours. Les chaînes info ont mis la France sous tension. Tout le monde s'interrogeait sur les effets de cet événement sur la campagne, la transformation des thèmes, l'émergence du terrorisme et de l'insécurité au cœur du débat. Puis les médias sont passés rapidement à autre chose. On voit bien avec cette affaire que la fonction d'agenda des médias s'est profondément transformée.
Il n'existe plus une communauté de journalistes politiques suffisamment forte pour imposer un thème de campagne. Les médias sont plus faibles et moins prescripteurs. Chaque candidat développe ses sujets ; cela donne une campagne plus chaotique et sans colonne vertébrale.
- En produisant eux-mêmes les reportages, les candidats ont privatisé leur image. N'y a-t-il pas un danger pour l'information ? Le très grand nombre de cameramen et de photographes qui suivent un candidat rend les déplacements difficiles, voire dangereux. Et les images sont parfois peu "présidentielles". D'où la décision des candidats qui en ont les moyens de produire leurs propres images. Une image propre, standard, signifiante, contrôlée. Oui, il y a un risque.
- Comment les chaînes peuvent y résister ? C'est très difficile, car un jeu subtil s'instaure entre journalistes et communicants. L'accès aux coulisses d'un événement est souvent une contrepartie, comme l'exclusivité ou le contact direct avec le candidat. Mais quand une équipe de télévision accède aux coulisses, celles-ci deviennent une scène, et le jeu continue. C'est une mise en abyme. Les journalistes qui suivent un candidat ont l'impression d'entendre toujours le même discours. Par lassitude, ils peuvent négliger les enjeux de substance pour l'anecdote. Ils cherchent une histoire derrière l'Histoire. Et il y en a toujours une.
- Est-ce une des conséquences de la télé-réalité ? Oui, c'est un effet de halo de la télé-réalité sur la sphère politique. On privilégie la parole volée ou la mauvaise posture du candidat au détriment de son engagement. Parfois, c'est intéressant, car se révèle une personnalité. Lorsque François Hollande se fait enfariner, il reste flegmatique. De son côté, Nicolas Sarkozy craque au Salon de l'agriculture avec son désormais célèbre "Casse-toi, pov' con !". Les télévisions accompagnent une opinion publique qui s'intéresse de plus en plus aux caractères, à la frontière du psychologique et du politique.
- Il pèse toujours un soupçon sur les médias de service public, dont les PDG ont été nommés par le président de la République. Or, Nicolas Sarkozy les accuse aujourd'hui de partialité. Cette loi s'est-elle retournée contre son auteur ? Cette loi est fondée sur un étrange argument : sortir de l'hypocrisie, parce que, avant, le président se cachait derrière le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) pour faire ces nominations. Pour développer la démocratie, il suffisait de créer une commission de nomination indépendante et faire valider son choix par une majorité des deux tiers au Parlement. Si les journalistes du service public cherchent à montrer qu'ils ne sont pas aux ordres du pouvoir, qui pourrait le leur reprocher ?
- Le langage des éditorialistes comme Franz-Olivier Giesbert, est de plus en plus débridé. Comment l'expliquez-vous ? Le président de la République sortant a montré l'exemple, tout comme quelques-uns de ses ministres. C'est un signe des temps. Le vocabulaire s'appauvrit, la syntaxe se relâche, l'excès de langage devient banal. La vulgarité des élites, c'est un peu comme le porno chic, un effet de mode.

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