
Le titre un tantinet provocateur, surtout en cette période électorale intense, qui reprend un slogan soixante-huitard (« Élections piège à cons ? »), traduit néanmoins une interrogation légitime fondée, sauf exception qui confirme la règle, partant des abstentions record et de la multiplication des votes blancs et nuls. « Permettez-nous, de temps en temps, de nous abstenir, tolérez que nous restions sur notre réserve et que nous passions notre chemin posément, sans nous prononcer en faveur d’aucun des champions en lice », plaide-t-il.
Il passe notamment en revue la décérébration de la citoyenneté : « l’"infocratie" dominante participe de son côté à la Grande Entreprise de Liquidation du Passé, de la mémoire historique [qui] s’accompagne d’une destruction systématique de la diversité du présent », souligne-t-il. Il rappelle ensuite que Lénine se plaisait à invoquer souvent cette phrase d’Engels : « le suffrage universel est l’indice qui permet de mesurer la maturité de la classe ouvrière. Il ne peut être rien de plus, il ne sera jamais rien de plus dans l’ État actuel » ("Origines de la famille, de la propriété et de l’ État", Ed. Sociales, 1966, p. 159).
Il souligne enfin qu’aujourd’hui le pouvoir est
confisqué par une oligarchie qui profite de l’apathie générale et des
circonstances pour s’imposer. « Et la politique n’est plus qu’un
théâtre d’ombres ; d’où sont absents les grands enjeux qui inquiètent
l’opinion publique. Si ce n’est pas Bruxelles, c’est la Banque mondiale, l’OMC
ou le FMI qui, de fait, décidera de
ceci, de cela : le citoyen le moins informé perçoit, désormais, les
grandes institutions internationales comme autant d’"instruments d’un
pouvoir monocratique et médiacratique" ». Le pouvoir est
ailleurs, malaisément identifiable, fort difficile à localiser et échappant
presque à tout contrôle.
A la pauvreté de l’offre politique, au manque d’alternative réelle (les sociaux-démocrates européens ont massivement confirmé, depuis les années 1980, qu’ils mènent à peu de choses près la même politique que la droite), s’ajoute, selon l’auteur, le sentiment que l’on a affaire à une démocratie "basculant" dans l’irréalité.
Il cite Slavoj Žižek pour qui : « la démocratie est aujourd’hui le fétiche politique principal, le déni de l’antagonisme social primitif », ajoutant que « la suspension de l’antagonisme social passe par le processus électoral, où la hiérarchie sociale est momentanément suspendue et le corps social réduit à la multitude qui va être décomptée » ("Bienvenue dans le désert du réel").
En conclusion, Jean Salem répond à cette objection qu’il pressent : « que suggérez-vous pour que l’Univers se porte mieux, pour que la paix y soit définitivement assurée, pour que nous soyons tous heureux dans la galaxie, et qu’enfin nous allions tous voter les jours d’élections ? ».
Sa réponse : rien ! Mais, ajoute-t-il
aussitôt : « Rien sauf la lutte, qui ces temps-ci, ressemble de
plus en plus à la résistance ». Et il précise finalement :
« Ce qu’il faut changer en vérité, c’est l’ensemble. Et avant qu’il ne
soit trop tard. Il faudrait, toutes affaires cessantes, reconstruire une
organisation de résistance, un parti de lutte digne de ce nom. Ce qu’il faut
changer, c’est l’omniprésent modèle du marché assez prégnant pour que des
analystes plus ou moins désintéressés aient pu transformer le citoyen-électeur
en un vulgaire consommateur ; un système au cœur duquel sont inscrites
l’inégalité, la chiennerie, la violence, la guerre. Un tel système, il ne s’agit pas de l’humaniser.
Car, pour assurer la survie des plus riches, c’est la démocratie qu’il aura
tendance à réguler toujours plus sévèrement – et non pas le capitalisme
lui-même. Il faut l’abattre. Après quoi, c’est promis, je me rendrai aux urnes sans
barguigner ! »
Jean Salem, « Élections, piège à
cons ? » Que reste-t-il de la démocratie ? Ed. Flammarion, coll. Antidotes, 2012, 116 p., 8 €.
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