L’auteur part de ce constat que,
dit-il, la "secte" écolo-citoyenne possède ses prophètes : du
botaniste au paysan en passant par l’agronome, ils sillonnent le territoire et
apportent la bonne parole à des auditoires conquis d’avance. Les
agglomérations, telle Nantes, sont entrées dans la course au
"développement durable", en quête du nouveau Graal, le label
"écocité".
Certains résistent pourtant à un
tel matraquage en refusant, au nom de leur liberté, de faire contrition en lieu
et place des puissants ou de faire le jeu d’un "capitalisme vert"
saisi par le greenwashing, dernière
"ruse" du capitalisme en crise. Recyclage d’ailleurs réussi. « Dans
la "société civile", de nombreux citoyens se sentent investis
d’une mission évangélisatrice et inquisitrice : répandre la bonne nouvelle
du développement durable et traquer les récalcitrants ». Ils trouvent
appui auprès de toute une technocratie verte, tatillonne et volontiers
répressive à l’égard des réfractaires.
Mais un rejet épidermique de
telles dérives doit se distinguer de l’indifférence ou du cynisme, ne
constituant pas une prise de position politique ou éthique alternative. En
« se refusant à promouvoir un quelconque idéal de substitution, le
cynisme peut se transformer en posture, nourrir la démission et
l’irresponsabilité ». Mais il peut être aussi un point de départ pour
une réflexion critique à peine amorcée qui vise à répondre à cette
question : « le souci de la nature est-il constitutif de tout
engagement politique ou un phénomène contingent, attaché à une société en mal
d’avenir ? ».
Pour ce qui est de la critique,
l’auteur considère que la plus grande menace pour l’écologie politique est en
elle-même, sous la forme d’une maladie auto-immune qu’elle sécrète et qui
a pour nom l’écocitoyenneté. « Les
petits "soldats verts" se répandent à une allure folle dans
l’organisme. Peut-être vous ont-ils déjà converti à la religion du petit
geste ? Ils ne jurent que par le développement durable, pratiquent le tri
sélectif, achètent leur produits dans les coopératives bio, sont incollables
sur le réchauffement climatique ». L’écocitoyen, tel Saint-Paul sur la
chemin de Damas, a été converti. Il croit que les experts et les prophètes ont
raison et que nous courons à la catastrophe.
Pour l’auteur, la politique des
petits gestes, si rassurante soit-elle, dessert pourtant la cause écologique.
« Non seulement ceux-ci restent en grande partie inefficaces, mais ils
occupent l’espace de changements plus décisifs. Trop occupé à trier ses
déchets, à réduire son empreinte écologique, l’écocitoyen ne voit pas souvent
plus loin que son bac à compost ».
Or la préoccupation écologique
devrait plutôt nous conduire à interroger notre façon de penser l’homme
et la politique, en ayant à l'esprit l’autonomie humaine comme projet. Elle doit devenir
« la condition d’une écologie réelle, c’est-à-dire qui ne sert pas
simplement de caution à un système mortifère, mais contribue à le
renverser ». Dès lors, la solution des problèmes écologiques passe
inévitablement par la suppression de toute forme de domination. Pour Murray Bookchin, « une société écologique doit être non-hiérarchique, sans
classes, si l’on veut éliminer l’idée même de domination sur la nature, ce qui
présuppose que l’écologie ne peut se réaliser que dans et par l’anarchie », estime-t-il.
En lieu et place de l’écocitoyenneté, jugée trop timorée et mensongère,
ressurgit alors le spectre de l’anarchie.
En vérité, pour en finir avec les
pseudo-experts autoproclamés, « anarchie et démocratie reposent sur le
présupposé que nul n’est plus compétent que les autres pour prendre des
décisions concernant le bien collectif ». Chacun, étant partie
prenante de ce bien doit contribuer à sa définition. Sur un territoire donné,
« les habitants décident ensemble de ce dont ils ont besoin et de la
manière de le produire. Ils allient autonomie et autarcie ». Ils sont
alors "écoresponsables", mais d’une manière très différente de ce que
ce terme désigne d’ordinaire. « L’éconanarchisme ouvre la voie d’une
responsabilité, assumée collectivement, de notre apport à notre milieu de vie », et à un "municipalisme libertaire" qui nous reterritorialise dans notre
milieu de vie quotidien. Alors que l’écocitoyenneté renforce l’individualisme
des sociétés libérales, une telle démarche de transition, au-delà des relations
affinitaires, donne, ici et maintenant, une place centrale au collectif. L’enjeu
n’est plus seulement de protéger la planète, mais de retrouver une qualité de
vie dans l’autonomie. « A des lieues de l’utopie, l’éco-anarchisme est
la voie la plus réaliste, pour construire une "écologie de la
liberté" ».
Samuel Pelras, Un geste pour la planète. Peut-on ne pas être écolo ?, Ed. Flammarion, 2012, 120 p., 8€.
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