Pour Isabelle Garo,
philosophe, on a encore trop tendance à voir en Marx un penseur déterministe,
pour qui l’histoire se déduirait et ne serait que la réalisation d’un
programme. Plus gravement encore, on lui impute un économisme, qui relierait de
façon rigide des strates sociales et qui donnerait à la base économique de cet
édifice le pouvoir d’en conditionner de façon unilatérale les étages supérieurs
ainsi que les étapes successives. Ces caricatures de Marx traduisent « sur
une méconnaissance profonde de son œuvre ainsi que sur l’évolution constante de
sa pensée ».
A l’encontre de ces lieux
communs, elle souligne qu’au contraire Marx place la politique et les formes
collectives d’innovation et d’invention qui lui appartiennent, au coeur du
processus historique. Mettant ainsi en évidence « la dimension
proprement politique de son analyse, à travers sa réflexion continue sur les
formes d’organisation, de transition et de médiation politiques ».
L’objectif est de montrer,
« qu’il s’agisse de la notion de classe, de la notion de parti ou de la
question du socialisme et du communisme, on rencontre dans son œuvre une
attention toute particulière portée aux phénomènes de construction et
d’invention historiques, devant parvenir à terme à l’abolition du capitalisme
et instaurant entre le présent capitaliste et la perspective communiste, une
chaîne d’étapes, non prescrites par avance ». Si les questionnements
de Marx furent évidemment distincts des nôtres, « ils n’en demeurent
pas moins d’une exceptionnelle actualité, pointant des enjeux et des
difficultés dont nous sommes les héritiers directs ».
Par exemple, comme le
souligne Isabelle Garo - dans un chapitre intitulé "La Commune de Paris
comme invention démocratique" - alors que « nos démocraties
contemporaines organisent une abstention populaire massive, croissante, qui
vide le mot de son contenu mais masque utilement un fonctionnement
oligarchique », Marx - à partir des Luttes de classes en France au
milieu du XIXème siècle et de l’expérience de la Commune de Paris -
« loin de considérer la démocratie parlementaire comme un jeu formel,
comme on lui reproche encore, souligne la crainte récurrente de la bourgeoisie
à l’égard de ses propres institutions représentatives, exhibant du même coup
toute la complexité politique de leur nature, à la fois délégataire et
expressive, démocratiquement endormie, mais toujours susceptible d’être
réveillée et dès lors transformée et transformatrice, voire élément constitutif
d’une stratégie révolutionnaire ». Ainsi, comme on l’entend trop dire
aujourd’hui, « ce n’est nullement le projet de la dilution du politique
dans le social qui est portée par Marx, mais celui de leur ré-articulation
révolutionnaire ». Certes, « l’ État moderne et ses
institutions parlementaires, sont des instruments de gestion et de construction
d’une représentation politique instrumentalisée par la classe dominante,
déguisant une oligarchie ». Pour autant, « aussi dévoyé
soit-il, le jeu électoral ne peut être déserté même s’il importe d’en dénoncer
les limites et les faux-semblants ». D’où il convient de considérer
que « la démocratie est à la fois le nom d’une conquête qui reste
intégralement à faire et le moyen toujours déjà à portée de main d’entrer dans
cette spirale positive, d’en enclencher la dynamique d’émancipation ».
Actuel, non ?
Isabelle Garo, Marx
et l’invention historique, Coll. Mille Marxismes, Ed. Syllepse, 2012,
188 p., 10 €.
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