Par Christophe Guilluy*
Résumé : La "France périphérique" est une conséquence des effets de la
métropolisation. Et pour mettre un terme au "séparatisme d’en bas",
il faut que les grands partis de gauche prennent mieux en compte ces questions à la fois
sociologiques et culturelles.
Extraits :
Pourquoi cet « état de sidération provoqué à gauche par ce
retour des classes populaires » ? Pour C.Guilluy, « c’est précisément l’implosion de cette
classe moyenne qui rend de nouveau visibles les catégories populaires. En
effet, le surgissement dans le débat public de catégories hier délaissées par
les classes moyennes, est un indicateur
essentiel de la nouvelle donne sociale. Si les classes moyennes avaient accompagné la moyennisation
de la société pendant les Trente Glorieuses, plusieurs décennies de
précarisation et de déclassement social favorisent aujourd’hui l’émergence de
nouvelles catégories populaires".
1 - La France périphérique
Étonnamment, catégories populaires, qui représentent pourtant une
majorité des actifs mais aussi des retraités, sont négligées […] au profit de nouvelles cibles électorales, "les jeunes",
"les minorités", "les diplômés". A la recherche d’une
majorité électorale, les auteurs du rapport de Terra Nova choisissent
paradoxalement de cibler un électorat structurellement minoritaire, celui des grandes
métropoles mondialisées. Un électorat qui a effectivement offert à la gauche et
aux Verts l’essentiel des grandes villes mais qui ne permet pas de remporter
une élection présidentielle. Car aujourd’hui, la nouvelle géographie sociale
nous enseigne que la gauche est forte là où le peuple est faible.
En effet, les catégories populaires ne vivent plus dans les métropoles
mais de "l’autre côté de la banlieue", dans les espaces périurbains,
ruraux et industriels. C’est dans cette "France périphérique"
qu’émergent de nouvelles classes populaires liées, non pas à une conscience de
classe, mais par une même perception de l’insécurité sociale et culturelle
engendrée par la mondialisation. Ceci explique que les catégories populaires
très diverses, et hier parfois opposées, se retrouvent dans une même perception
de la réalité sociale. L’employé du lotissement pavillonnaire, l’ouvrier rural,
le chômeur de bassin minier ou le petit paysan peuvent ainsi partager une même
critique des choix économiques et politiques des classes dirigeantes depuis vingt
ans. C’est dans cette "France périphérique", à l’écart des métropoles
mondialisées, que se jouera, comme en 2007, l’élection de 2012.
2 - Effets de la "métropolisation"
La métropolisation, inscription territoriale de la mondialisation, est le moteur de cette recomposition. Ce processus de métropolisation a été défini par l’INSEE comme la spécialisation des grandes villes vers des "activités à fort potentiel de développement économique et à contenu décisionnel élevé". À Lyon, Lille, Bordeaux et Nantes les "emplois métropolitains" sont liés à la fonction inter-entreprise, à la logistique et aux transports. Le développement d’un marché de l’emploi très qualifié, et souvent intégré à l’économie-monde, attire mécaniquement les cadres et professions intellectuelles supérieures qui investissent fortement l’ensemble du parc de logements de ces grandes villes, y compris dans les anciens quartiers populaires. Ce processus de "gentrification" est à l’origine d’une forte augmentation des prix de l’immobilier.
Ces logiques entrainent une
raréfaction de l’offre des logements destinés aux catégories modestes et
moyennes contraintes d’habiter dans des espaces toujours plus éloignés en zone
périurbaine ou rurale. Contrairement à ce qui a prévalu jusqu’aux années 1970,
les catégories populaires devront désormais vivre à l’écart des lieux où se
concentre l’essentiel du pouvoir économique, politique et culturel.
Aujourd’hui, les catégories les
plus modestes ne vivent pas ""de l’autre côté du périphérique",
mais "de l’autre côté de la banlieue", essentiellement sur des
territoires périurbains, ruraux et industriels. Souvent présentée comme
dépeuplée et vieillissante, cette "France
périphérique", située à l’écart du développement métropolitain rassemble
en réalité l’essentiel de la population. Aujourd’hui, moins d’un Français sur quatre vit dans une
ville centre et les trente premières agglomérations ne concentrent que 35% de
la population. En réalité, il apparaît que les nouvelles fractures sociales et
culturelles ne recouvrent que partiellement le découpage du territoire en zone
urbaine, périurbaine et rurale. Elles se révèlent en revanche sur une ligne qui
oppose désormais les grandes métropoles mondialisées à la France périphérique.
Ces dynamiques ont entrainé un
profond renouvellement de la population, et si la part des plus de soixante ans
effectivement importante, on observe aussi une augmentation des jeunes dans les
espaces périurbains et le rural proche. La jeunesse rurale et périurbaine, pour
l’essentiel issue des milieux populaires, représente près d’un tiers de la
jeunesse. Par comparaison, moins de 10% de la jeunesse vit dans des quartiers
sensibles.
3 - Mettre un terme au "séparatisme d’en bas"
L’émergence d’une France populaire
à l’écart des grandes métropoles génère de nouvelles problématiques sociales
comme celles de l’éloignement des marchés de l’emploi ou de l’offre scolaire,
de la faiblesse de l’offre des logements sociaux pour les jeunes ménages. Elle
pose la question plus globale du maillage des services publics.
L’absence de réflexion à gauche
sur ces questions, et pire, les postures morales qui consistent à confondre les
réactions à une insécurité culturelle avec une poussée irrationnelle de
xénophobie est d’autant plus insupportable que les classes populaires ont
parfaitement compris qu’en matière de "mixité" et de
multiculturalisme, les croyants sont rarement les pratiquants.
Pour l’essentiel, ces catégories
restent majoritairement attachées à un État protecteur, aux services publics ou
au principe d’égalité ce qui, a priori,
n’illustre pas, sur le fond, un basculement "à droite". Plus que la droitisation, c’est d’abord l’effondrement
de la confiance d’une majorité de Français pour les grands partis politiques
qui marque ces deux dernières décennies. Ce scepticisme, particulièrement fort en milieu populaire, est
la conséquence d’une impossibilité pour les grands partis de prendre en charge
les conséquences sociales et culturelles d’une mondialisation qu’ils continuent
à juger "heureuse". Le FN ne capte qu’une part
minoritaire de cette majorité de Français qui ne se reconnaît plus ni à gauche
ni à droite ?
Plutôt que de faire peur avec la montée du "populisme"
ou la droitisation des opinions, il est temps de prendre conscience qu’il
existe un espace considérable pour qui
souhaiterait répondre à la demande de protection des classes populaires ;
une demande qui revêt une dimension sociale mais aussi culturelle.
*In : Plaidoyer pour une gauche populaire, la gauche
face à ses électeurs, Ed. Le Bord de l’eau, 2011, p. 47-56.
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