L’auteur, universitaire titré et "économiste atterré", n’a rien d’un polémiste farfelu. Il s’attaque ici au tabou de l’euro, qui de droite à gauche, traverse tout le spectre politique. « La monnaie unique a perdu sa dimension d’instrument, que l’on doit juger à ses effets, pour devenir un véritable fétiche, au sens religieux du terme ». Qu’il soit de la majorité ou du PS, tout dirigeant politique abordant le sujet évoque les "bienfaits de l’euro" - mais sans préciser, et pour cause lesquels – et la nécessité de défendre la monnaie unique.
Pourquoi ce livre ? Alors que divers ouvrages ont dénoncé l’euro, avec de bons arguments, ce livre se fixe un autre objet : « Il veut tenter d’analyser l’euro et d’amorcer, contre le tabou et les arguments religieux, un retour à la raison. Il se propose aussi d’examiner la crise actuelle, de mettre en évidence tant ses origines que la conjonction de politiques particulières qui l’ont rendue inévitable. Il entend montrer au lecteur comment nous en sommes arrivés là, à partir des espoirs – pour certains réels et pour d’autres imaginaires – qui avaient été mis dans l’euro à l’origine ».
Que le Front national ait fait de la contestation de l’euro son cheval de bataille, est invoqué pour tenter de discréditer tout débat sur l’euro. F.Lordon a fait litière de cette allégation qui voudrait , bien piètre argument, que parler contre l’euro serait adhérer à toutes les idées du FN. « Nous ne devons pas refuser par principe l’idée d’une sortie de l’euro », alors que « tout montre qu’elle n’engendrera pas les catastrophes que nous promettent les faux prophètes de tous poils et de tous bords qui n’ont que la peur à la bouche et le mensonge dans le cœur pour tenter de sauver la monnaie unique ».
Retour aux sources de l’euro
Dans un voyage aux sources de l’euro, J.Sapir montre d’abord que le compromis historique originel, s’appuyant sur des fondements théoriques incohérents, visait à conforter l’hypothèse fédéraliste sous la forme d’un "fédéralisme furtif" dont la monnaie commune était l’instrument. La métaphore des "Etats-Unis d’Europe" s’est construite sur une illusion, une méconnaissance des réalités, voire des mensonges.
Aujourd’hui, le retour aux réalités s’avère cruel. L’auteur montre, chiffres irréfutables à l’appui, que le mécanisme même de la monnaie unique, loin de faire converger les économies, a accéléré leur processus de divergence, accentuant un phénomène que l’auteur qualifie d’"eurodivergence".
L’euro s’est aussi révélé incapable, contrairement aux promesses répétées de ses partisans, d’empêcher le mouvement de remise en cause des acquis sociaux. En fait de protection, « n’a-t-on pas voulu, par la libéralisation des mouvements de capitaux et la financiarisation à outrance, offrir de nouveaux espaces à la recherche du profit par un tout petit nombre ? ».
Un retour aux sources nécessaire pour bien saisir l’ampleur d’une crise, qui ne fait que commencer, et qui emportera sans doute avec elle la monnaie unique et les faux espoirs qu’elle a nourris.
L’euro fauteur de risques
Dans l’immédiat, l’Europe reste soumise au "risque euro". Bien que monnaie d’un Etat qui n’existe pas, il engendre des contraintes structurelles fortes. En l’absence d’une réglementation cohérente, les effets des politiques communes d’ajustement, réponse inadaptée à la crise qui menace, la déflation et l’austérité sont des impasses tragiques. La constitutionnalisation des règles budgétaires est une illusion, et la "règle d’or" un mensonge.
Face aux conséquences de la crise quelles sont les stratégies et les scénarii possibles ? La Grèce, c’est l’arbre qui cache la forêt. L’impact sur la France du sauvetage de la zone euro s’annonce douloureux. Un surcroît d’austérité serait « inévitable en raison des ajustements budgétaires qu’il faudrait nous imposer pour sauver l’euro ». Dans un tel contexte, « il est clair que les inégalités sociales augmenteront dans des proportions considérables ». Le maintien dans l’euro nous impose une dégradation régulière de la situation, une baisse du pouvoir d’achat inéluctable et la poursuite de la désindustrialisation. L’auteur considère que « l’Histoire jugera sévèrement le personnel européen qui a vécu (et vit encore) dans le déni de la crise ». Il estime que « ce montage institutionnel fait de bric et de broc, et construit dans l’urgence par une élite aux abois et des technocrates sans légitimité peut fort bien disparaître », considérant même que « l’Europe a finalement peu à craindre de l’échec de la zone euro ».
Pourquoi et comment en sortir ?
Pour en arriver à cette conclusion qu’il n’y a probablement pas d’autre alternative que d’accepter les conditions et les conséquences du maintien dans la zone euro ou, par une successions d’actions unilatérales, de préparer notre sortie. « Le choix se fera donc entre le maintien dans la zone euro en crise, à un coût considérable en matière d’austérité et de pouvoir d’achat, et ce sans pouvoir espérer autre chose qu’une rémission ; des mesures d’urgence prises à l’initiative d’un pays (la France) permettant d’organiser une transition rapide vers une monnaie non plus unique mais commune ; et enfin une sortie de la zone euro ». Cette sortie de l’euro, envisagée sérieusement comme une issue à la crise, produira assurément un traumatisme, mais plus politique qu’économique. « Si les mesures d’accompagnement nécessaires sont prises, le choc d’une telle sortie pourrait se révéler parfaitement gérable ».
« Nombreux sont ceux qui prétendent que la fin de l’euro signifierait la fin de l’Europe. Rien ne vient à l’appui de cette thèse. L’Union européenne est un mécanisme distinct et séparé de l’euro. On doit voir dans le catastrophisme affiché et dans l’énumération de la longue liste des conséquences potentiellement imputées à la fin de l’euro auxquelles que la peste, les pluies de sang et les grandes invasions, une volonté d’affoler le public . Il est clair par contre que la poursuite des plans d’austérité, l’ajout continuel de nouvelles mesures régressives tant sur le plan social qu’économique, ne peut que rendre l’Union européenne odieuse aux Européens. Cette union est bien plus en danger par la survie de l’euro que par sa disparition. Il est par contre certain que l’Union européenne sera transformée par la disparition de l’euro, mais très vraisemblablement en bien ».
Il y a une réalité que négligent ceux qui, à gauche, prétendent lutter contre le néolibéralisme tout en voulant garder à tout prix l’euro. Pour J.Sapir il va falloir , d’une manière ou d’une autre, s’en libérer pour pouvoir avancer en revenant aux sources de la légitimité et de la politique, c’est-à-dire la souveraineté.
J. Sapir, « Faut-il sortir de l’euro ? », Seuil, 2012, 200 p., 14,90 €.
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