L’empreinte communiste 1920 2010

Il y a un paradoxe français, souligné par Marc Lazar : alors même que le PCF serait agonisant, le communisme prospère pourtant encore aujourd’hui dans les représentations communes et est de pleine actualité.
Ce livre de l’historien Roger Martelli rappelle avec précision et rigueur que pendant près d’un siècle, le Parti communiste français a, après 1920, coloré la gauche, imposé ses images, fait corps avec l’extension de territoires larges, notamment urbains. Loin d’être seulement une greffe d’origine externe – thèse longtemps dominante d’Annie Kriegel – force est ainsi d’admettre que « l’imprégnation française du communisme renvoie à des structures lourdes de l’espace sociopolitique français ».
Avec la Révolution de 1789 le flux des mobilisations populaires, des sociétés ou des clubs, s’est structuré en France un courant démocratique plébéien de souche révolutionnaire. Jusqu’à nos jours, la sans-culotterie parisienne, le républicanisme des sociétés secrètes, la radicalité d’extrême gauche ou le communisme procèdent de cette tradition bi-séculaire qui associe inséparablement la justice, la liberté, l’insurrection, la Révolution, la République et la Sociale.
Certes, suite au traumatisme de la Grande Guerre 14-18, le parti communiste français naît-il lui-même, en 1920, au Congrès de Tours, de son ralliement au modèle révolutionnaire bolchevique. Ce ralliement lui inculque, dans les années 20 et 30, un triple modèle d’activité politique de masse pour un parti "d’avant garde" préparant la prise du pouvoir ; d’organisation partisane obéissant à la discipline du "centralisme démocratique", et d’une culture politique cohérente, le "marxisme-léninisme". Même s’il s’agit davantage de passion révolutionnaire que d’esprit d’imitation, la suite de son histoire en fera cependant un parti stalinien, qui mettra beaucoup de temps à se débarrasser de son stalinisme. Il a ainsi pendant trop longtemps perpétué, sous diverses formes, l’héritage universel du moment particulier du communisme politique associé historiquement au bolchevisme et à Lénine.
Pour autant, ce parti international dans ses fondations, est bien devenu, dans le même temps, un parti politique français, remplissant nationalement une triple fonction :
- La première est sociale : par le biais de l’association, du syndicat et de la gestion municipale, le PCF exerce une fonction de représentation qui lui permet de contribuer, à sa manière, à l’insertion civique et à l’intégration statutaire du monde du travail, industriel et urbain.
- La seconde est utopique et projective : le PCF a formulé de manière évolutive, à partir et autour du mythe soviétique, la vieille espérance populaire d’une société où les humbles ne seraient plus assujettis, une espérance qui permettra de joindre la colère du vécu immédiat et le sens de l’avenir.
- La troisième est politique : dans des formules successives – front anti-fasciste, résistance nationale, union de la gauche -, le PCF est parvenu à dessiner à son profit l’image du prometteur de grandes formules réalistes de rassemblement politique.
Roger Martelli met bien en évidence que tant que cette triple fonctionnalité - sociale, projective et politique a agi de façon synchrone - qu’elle qu’en soit la forme, stalinienne ou non – le PCF s’est présenté comme un corps politique soudé, inscrit dans l’espace sociopolitique national. Mais, à l’inverse, dès que cette fonctionnalité s’enraye, ou tend à s’estomper, les ressorts de l’implantation s’érodent et l’activité militante s’atrophie, dans une dialectique du présupposé et de l’activité, du possible et du contraint.
Roger Martelli résume donc ainsi le "parti pris" de son livre : « l’expansion ou le déclin du Parti Communiste, sa force d’agrégation ou, au contraire, sa propension à la désagrégation ont dépendu de sa capacité à donner vie concrète au courant qui le fonde, de ses dispositions à lui fournir des perspectives, des projets des ressources symboliques et des mots d’ordre mobilisateurs. Quand il réussit cette alchimie des pratiques et des représentations, le PCF a placé au premier rang politique la tradition révolutionnaire et en a tiré bénéfice pour lui-même. Quand il n’a plus su le faire, il s’est étiolé ; quant au radicalisme plébéien, il n’a pas culturellement disparu, mais il a politiquement marqué le pas ».
Les jeux sont-ils faits ? Le déclin est-il inéluctable ? Même si le PCF paraît en sérieuse difficulté, rien n’indique qu’il doive cependant disparaître. Sauf s’il s’avérait lui-même incapable de réactiver sa triple fonctionnalité sociale, projective et politique, dans une société en crise multidimensionnelle profonde où il a plus que jamais sa place à reconquérir et un rôle à remplir.
Roger Martelli, "L’empreinte communiste, pcf et société française, 1920-2010", Editions Sociales, 260 p., 12 €.

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