On observe aujourd’hui un regain d’intérêt pour l’idée, le projet, voire les politiques communistes. Les raisons de ce renouveau, son contenu et sa légitimité sont mis en débat dans ce dossier « Communisme ? » de la revue Actuel Marx n°48 du second semestre 2010.
La question se pose aujourd’hui de savoir pourquoi revient ce nom de communisme. De quoi est-il effectivement porteur ? De quelles pratiques nouvelles ? De quelles aspirations ? De quels rejets ? De quels défis ? Pourquoi devrait-on précisément choisir ce nom ? En quoi serait-il plus puissant qu’un autre ? Pourquoi serait-il le nouveau signe de reconnaissance par lequel on pourrait enfin prendre conscience de ce que l’on fait ou cherche ? D’où parle le communisme ? De quelle force sociale, réelle ou supposée ? De quel monde ? Que peut-on attendre d’un retour réflexif sur le divorce qui s’est opéré entre ‘socialisme’ et ‘communisme’ ? Même s’il s’agit d’un mot politique, de ces vocables qui donnent lieu à des affrontements et retournements sans fin, y a-t-il quelque sens à l’utiliser, hors d’une conceptualité analytique et stratégique, d’une façon mieux définie et communicable ?
Si les questions sont diverses, les réponses recueillies ici le sont tout autant. Pour n’en relever que quelques unes :
En rappelant la manière dont le projet communiste fut élaboré à partir de Marx, Franck Fischbach s’interroge sur la réticence de celui-ci à décrire positivement une société communiste. Le communisme n’est pour lui ni un idéal, ni une utopie, et paradoxalement, il n’est pas non plus un simple mouvement immanent au capitalisme. Certes, ce dernier nourrit les germes d’une société communiste, mais il génère également les conditions qui font obstacle à ce développement. Si le communisme est déjà là, il ne peut l’être que dans la pratique de ceux qui luttent pour l’éclosion d’une forme de vie plus haute.
Intervenant dans ce débat, Étienne Balibar pose le primat du « qui sont les communistes ? » sur le « qu’est-ce que le communisme ? » Il appelle à reconnaître la pluralité des généalogies de l’idée communiste moderne, relativisant ainsi l’héritage marxien. Et il invite à discuter les apories du communisme de Marx, celles-ci étant précisément ce à partir de quoi il serait possible de l’incorporer à de nouveaux projets d’émancipation.
Toni Negri tente de répondre à la question posée par Étienne Balibar, celle du « qui ? » tout en se demandant si l’on peut être communiste sans être marxiste. Ce qui est en vue, c’est un tout autre marxisme que celui des régimes communistes où le « public » falsifiait le « commun ». Polémiquant avec les orientations proposées par Alain Badiou et Jacques Rancière, il avance que le communisme implique une ontologie historique et qu’il a besoin de Marx pour s’enraciner dans la pratique du commun.
C’est ce même thème du « commun » que reprend Jean-Luc Nancy. Le mot ne désigne pas par hasard, dit-il, aussi bien ce qui est partagé par plusieurs que ce qui est banal, voire trivial. Rien n’est plus partagé que ce qui est le plus ordinaire. Pourtant, l’idée communiste ne doit rien avoir de « commun ». Au contraire, elle doit ouvrir à ce qui dénonce la vulgarité de l’individualisme.
Chantal Mouffe, au contraire, récuse quant à elle l’idée même de « communisme », qui convoque, à ses yeux, une vision anti-politique et anachronique de la société, où toute aliénation et tout antagonisme auraient été supprimés, et où la loi, l’État et les autres institutions régulatrices de la modernité auraient perdu toute pertinence. Pour elle, un authentique projet d’émancipation ne devrait pas viser une société réconciliée avec elle-même, mais plutôt une radicalisation de la lutte démocratique.
Jacques Bidet propose, quant à lui, de reconsidérer les approches d’Alain Badiou, de Jacques Rancière et de Toni Negri à la lumière des structures sociales et politiques de notre temps. Il soutient que le communisme est un projet moderne qui s’oppose à la fois au libéralisme, discours de la propriété capitaliste, et au socialisme, schème idéal des « dirigeants-et-compétents ». Quant au marxisme, il véhicule la visée ambiguë d’un communisme en termes de socialisme. Il existe en ce sens un lien du discours marxien aussi bien avec les « socialismes réels » qu’avec les socialismes à l’occidentale. Il n’est pas étonnant que le discrédit dont ces derniers sont aujourd’hui frappés conduise à convoquer le drapeau du communisme ou du « commun » comme alternative à l’alternance socialiste.
On lira également dans ce livre-revue un grand entretien avec Immanuel Wallerstein, qui fournit l’occasion de poursuivre l’analyse de la nature et des effets de l’actuelle crise du néolibéralisme.
Actuel Marx, 2010/2 (n° 48), Éditeur P.U.F, 228 pages, 24 €
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