Avec deux nouveaux ouvrages, André Loez et Nicolas Offenstadt s’inscrivent dans le débat historique et politique sur les usages publics de la mémoire du conflit de 1914-1918.
«Les morts si nombreux ont fini par donner à la guerre d’autres sens ; pour eux, il fallait faire en sorte de l’emporter et que ce soit la dernière guerre, la “ der des der ”, espoirs de beaucoup de contemporains. Pour d’autres, c’est l’amertume qui prévaut, devant la défaite ou devant une victoire entachée d’injustices et d’inégalités. Les atroces réalités des tranchées et l’ampleur du deuil ont aussi rendu vaine, pour certains, toute quête de sens : la Grande Guerre ne serait alors qu’une absurde catastrophe, à dénoncer et à déplorer. »
André Loez aborde l’histoire du conflit dans son ensemble. À une réflexion systématiquement comparative (l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni) qui situe clairement les enjeux de l’entrée en guerre, de l’expérience combattante ou de l’arrière, il associe de brèves mises au point sur les controverses opposant les historiens de la Grande Guerre (le consentement, la culture de guerre…). Le lecteur trouve dans ces pages une vue synthétique du premier conflit ouverte sur l’interrogation de son sens.
Comme lui membre du Collectif de recherche international et de débat sur la Guerre de 1914-1918 (Crid 14-18), Nicolas Offenstadt scrute la mémoire contemporaine de la Grande Guerre. Son souvenir anime les pratiques socioculturelles, débouche sur un véritable activisme mémoriel. La der des der est une «histoire à soi», le lieu d’un rapport sensible à l’histoire : musées personnels, édition de lettres de poilus redécouvertes dans un grenier, militantisme associatif autour des champs de bataille ou des monuments aux morts représentent autant de formes sociales du souvenir de 14-18. Au plus près du tissu social, sa mémoire circule au gré des chansons, des pièces de théâtre, des films et des pratiques artistiques. Le poilu – mutin et / ou victime – en est la plus forte icône, à laquelle s’associent les brefs épisodes de fraternisation, de solidarité et la condamnation de la guerre. L’auteur traque aussi les usages politiques du conflit ; en quelques pages, la lecture opérée par Nicolas Sarkozy et ses conseillers se saisit. Clemenceau, Père la Victoire après avoir été briseur de grèves, le barrésien «appel aux morts» sont des figures fréquemment sollicitées, souvent contradictoires avec le message pacifiste accolé à Verdun. Devant ces usages étatiques de la mémoire du conflit, force est d’acquiescer aux propos du dernier poilu, Lazare Ponticelli : «Je refuse ces obsèques nationales. Ce n’est pas juste d’attendre le dernier poilu. C’est un affront fait à tous les autres, morts sans avoir eu les honneurs qu’ils méritaient. On n’a rien fait pour eux.»
Vincent Chambarlhac, dans l’Humanité du 5 novembre
- « La Grande Guerre », d’André Loez. Éditions La Découverte, 2010, 9,50 €.
- « 14-18 aujourd’hui. La Grande Guerre dans la France contemporaine », de Nicolas Offenstadt. Éditions Odile Jacob, 2010, 21,90 €.
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