Directrice de recherches en science politique au Cevipof, à Sciences Po, Anne Muxel décrypte pour Rue89 la montée de la mobilisation chez les jeunes en général et chez les lycéens en particulier. Politisation, instrumentalisation, violence, influence… L'auteure de « Avoir 20 ans en politique » (éd. du Seuil, 2010) balaye les questions que pose cette mobilisation contre la réforme des retraites.
Comment analysez-vous l'émergence de ce nouveau mouvement lycéen ?
Il vaut mieux parler de mobilisation que de mouvement structuré. La question de la réforme des retraites est venue amplifier encore la grande inquiétude ressentie par les jeunes face à leur avenir professionnel immédiat, puisque les jeunes connaissent de plus en plus de difficultés pour entrer dans la vie sociale adulte.
La perspective que l'autre bout de leur vie professionnelle -qui n'est certes pas dans une temporalité immédiate- serait elle aussi moins favorable que pour les générations précédentes a renforcé cette inquiétude.
« Une jeunesse mobilisée contre Sarkozy »
Les lycéens manifestent-ils contre la réforme des retraites ou quelque chose de plus large ?
C'est la jeunesse scolarisée qui manifeste, pas la jeunesse au travail. C'est une jeunesse que l'on sait davantage orientée à gauche qu'à droite, une jeunesse qui se mobilise contre ce gouvernement de droite et contre Nicolas Sarkozy.
Les discours sécuritaires et les affaires politiques de cet été ont accru l'antisarkozysme, qui est partagé par une large partie de la jeunesse scolarisée. Cette mobilisation sert aussi de prétexte pour exprimer une exaspération, une volonté de changement.
C'est donc aussi un mouvement politique…
La protestation politique est devenue un outil d'expression démocratique très familier pour les jeunes depuis une vingtaine en France.
A l'occasion de toutes les réformes du système éducatif, le mouvement lycéen et étudiant est toujours descendu dans la rue et a souvent obtenu gain de cause, quels que soient les gouvernements, de droite comme de gauche. Il y a aussi ce côté rituel et initiatique de leur entrée en politique, même si cela ne se fait pas dans un cadre structuré.
« Ils ne sont pas instrumentalisés »
Les lycéens sont-ils, selon vous, instrumentalisés ou agissent-ils de manière autonome ?
Contrairement à ce qui est dit, je ne pense pas qu'ils soient instrumentalisés. Dès qu'ils s'expriment en politique, dès qu'ils s'engagent, dès qu'ils manifestent, les jeunes sont depuis toujours soupçonnés d'être manipulés ou récupérés.
Mais il y a évidemment des forces politiques qui ont tout intérêt à voir les jeunes dans la rue, comme aujourd'hui l'opposition et les syndicats, car ils donnent une très forte visibilité à la contestation, par leur disponibilité et leur énergie contestataire.
On a tendance à ne pas vouloir reconnaître que des jeunes soient déjà en prise avec la société. Toutes les études sur la socialisation politique montrent que c'est tout au long de l'enfance et de la jeunesse que se construisent les choix et les opinions politiques. Sans compter que la plupart vont certainement voter en 2012.
C'est renvoyer à la jeunesse une image extrêmement négative d'elle-même que de la considérer comme dépendante. Il faut entendre cette contestation, tout le monde y a intérêt.
« Pas sûr que cela fasse pencher la balance »
Faut-il les entendre sous peine de voir les incidents s'amplifier ?
Personne n'a intérêt à ce que la situation s'envenime. Ni le gouvernement qui a pour consigne de rester ferme mais qui doit avoir peur de revivre le drame de la mort du jeune Malik Oussekine en 1986. Ni l'opposition qui verrait ses revendications affaiblies. Ni les jeunes eux-mêmes qui seraient discrédités. On assiste à une radicalisation des jeunes du fait de la société en crise, mais cette radicalisation peut se faire sans violence.
Cette mobilisation lycéenne peut-elle faire pencher la balance du côté de l'opposition ?
Sans faire de pronostic hasardeux, le gouvernement paraît assez ferme et je ne suis pas sûre que cela fasse pencher la balance. Mais il faut absolument entendre leur peur de l'avenir, ce que les politiques sont généralement frileux à faire.
____________________________________Voir aussi l’excellent reportage de l'émission Envoyé spécial du jeudi 21 octobre 2010 Actualité /Retraites, paroles de jeune. Ils sont lycéens, ils sont dans la rue contre la réforme des retraites. Pourquoi se sentent-ils concernés et sont-ils manipulés ?
http://www.pluzz.fr/envoye-special-2010-10-21-20h35.html
Nathalie Fl.-44260
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Les jeunes et les retraites : une mobilisation logique ?
Alors que le gouvernement prétend que sa « réforme » est faite pour garantir aux jeunes le droit à la retraite, ceux-ci s’engagent massivement dans le mouvement social. Et pour cause…
À la suite de l’entrée des lycéens,
le 12 octobre,
dans le mouvement contre la casse des retraites, la droite a accusé la gauche de manipuler la jeunesse et brandi l’épouvantail des « casseurs ». « Au risque de paraître décalé, ce n’est pas dans la rue que les lycéens doivent être actuellement. (…) Lorsqu’il y a des manifestations de lycéens, il y a forcément des risques graves, et j’en appelle à la responsabilité des parents
et des enseignants », a ainsi déclaré, le 15 octobre sur France Info, le président du groupe UMP à l’Assemblée, Jean-François Copé. Le même jour, dans un entretien au Monde, le ministre de la Jeunesse et des Solidarités actives, Marc-Philippe Daubresse, tout en prenant acte du « sentiment d’injustice ressenti par une partie de la jeunesse », tentait de convaincre que « cette réforme est faite pour les jeunes ». Peine perdue. Les jeunes ne sont pas dupes. Les slogans clamés dans
les cortèges, comme
le désormais fameux
« Les jeunes au boulot, les vieux au repos », témoignent de leur conscience aiguë des conséquences du texte gouvernemental, et notamment du recul de l’âge légal
de départ à la retraite sur leur situation actuelle, déjà difficile, en particulier au niveau de l’emploi. En février 2009, d’après les chiffres de l’organisme européen Eurostat, le taux de chômage des jeunes actifs de quinze à vingt-quatre ans a atteint 21 % en France. Et d’après l’Insee, 26,4 % sont en contrat à durée déterminée (CDD), contre 8,3 % pour le reste de la population. Derrière la question des retraites, c’est aussi, plus fondamentalement, le refus de vivre moins bien que leurs parents qui mobilise
les jeunes.
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