Classes populaires et médias

Usages ordinaires de l'info dans les milieux populaires
L’auteur, Vincent Goulet, s’est installé pendant trois ans dans un quartier populaire de la banlieue de Bordeaux - le quartier HLM de Génicart, à Lormont -  pour observer les comportements, suivre les discussions dans l’espace public, y nouer des amitiés et réaliser des entretiens. Cette démarche d’ethnographie participante visait à répondre à la question : qu’est-ce qui nous pousse à ouvrir la radio tous les matins, à écouter les bulletins d’information ? Il définit ainsi l’objet de son livre, s’agissant ici des classes populaires : « pourquoi les gens, et en particulier les gens ordinaires, les gens modestes qui n’ont guère de pouvoir économique, politique et social, s’informent-ils ? Qu’est-ce qui se joue, humainement et socialement, dans le rapport aux médias ? ». Car, selon lui, « il importe de comprendre le rapport aux informations médiatiques, notamment pour des raisons politiques, à l’heure où le clivage droite/gauche paraît moins efficient ».
Pour y répondre, il détaille point par point "les usages politiques des appropriations médiatiques populaires", en soulignant leur "caractère fortement ambivalent qui est au fondement même de la redistribution de l’offre politique".  Car s’il y a un fort attachement populaire à la "liberté d’expression", son corollaire est une grande tolérance vis-à-vis de la diversité des opinions. Du coup, « l’adhésion des publics populaires aux messages journalistiques  n’est jamais pleine et entière : mélange de croyance et de méfiance, la réception ménage des espaces de "jeu" politique et moral. La relative ambivalence des jugements sur l’actualité comme celles de certaines normes de conduites sociales permettent ainsi aux individus de construire, sur un mode proche du "bricolage", des espaces sociaux et identitaires où la vie est possible ».
Le sociologue des médias – retrouvant ainsi les constats du militantisme de proximité -  observe, qu’au-delà de l’absence d’une culture populaire, et malgré le poids de "la culture commune du grand nombre" façonnée par les industries culturelles et le système médiatico-publicitaire, au final "le conformisme n’est pas une valeur populaire". Il souligne que son expérience lui donne plutôt "une sensation d’ouverture".
Il montre ainsi qu’il n’y a pas de dictature ou d’hégémonie absolue des médias, mais que « les formes de politisation des membres des classes populaires sont au contraire réelles, mais multiples, inattendues, souvent "politiquement incorrectes", et toujours déstabilisantes pour le militant orthodoxe de gauche ». Une étude à méditer, pour en tirer, il est vrai, toutes les conséquences dans les pratiques militantes de proximité.
V.Goulet, "Médias et classes populaires", Ed. INA, 2010, 340 p., 20 €.

Commentaires