Cette fois ce livre événement, qui émerge des centaines de romans publiés à la rentrée à l’approche des grands prix littéraires, déclenche non la polémique, mais des dithyrambes appuyés. Alors : "carte gagnante" (d’après le JDD), "tableau de maître" (selon l’Huma) ? Malgré son titre, il a bel et bien plus à voir avec la littérature qu’avec la géographie.
On y retrouve toute l’alacrité déjà présente dans "Extension du domaine de la lutte" en 1994, avec une saillie ironique à chaque page sur notre monde tel qu’il va, dont beaucoup font mouche. Mais faudrait-il pour autant les prendre au pied de la lettre ? Car Houellebecq, c’est avant tout un style. Celui d’un imprécateur prémonitoire, vigile de notre avenir déjà présent, qui nous interpelle toujours et nous touche parfois.
Le livre commence par le récit d’une success story. Celle d’un artiste, Jed Martin, qui entame sa carrière artistique comme photographe d’objets manufacturés ; puis, dans une démarche minimaliste artistique aussitôt appréciée, par des photographies d’extraits de cartes Michelin, avant de faire définitivement fortune par une série de toiles représentant des personnalités, tels des PDG de grandes firmes mondiales qui s’empressent de les acheter à prix spéculatif.
Ensuite, Houellebecq se met curieusement en scène lui-même, en écrivain à la dérive, retiré de tout en Irlande. Narcissisme complaisant ou suprême autodérision, qui sait ? Avant que son assassinat spectaculaire et énigmatique ne fasse basculer le livre dans le roman policier, sans réel dénouement cependant.
L’ensemble constitue une projection dans les décennies à venir, sous la forme d’une extrapolation des tendances d’ores et déjà en cours. Et ça fait peur ! Car le proche avenir qui nous serait donc promis, ce serait le culte consumériste des objets - appareils photos, automobiles – dont toutes les spécifications et notices techniques ne nous sont en rien épargnées; culture réduite au contenu des pages de Wikipédia ; argent facile dans la spéculation artistique et, même, triomphe dans le PAF de J-P Pernaut, devenu la référence dans la folklorisation du patrimoine régional, qui quitte avec éclat TF1 pour la nouvelle chaîne "Michelin TV". Dans une France re-ruralisée, mais désormais vouée au seul tourisme étranger friqué, via les aéroports décentralisés des compagnies aériennes low-cost. Et bien d’autres traits encore, à peine forcés, de tendances déjà à l’œuvre sous nos yeux.
Au-delà de l’enjeu du Goncourt, une lecture qui joue donc des ambiguïtés et des faux-semblants de notre temps pour mieux nous alerter sur les vrais risques de l’avenir.
Michel Houellebecq, La Carte et le territoire, Flammarion, 2010, 432 p., 22 €.
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