Dans ce petit livre suggestif, A.Bernier et M.Marchand - reprenant une formule du journaliste H.Kempf - nous invitent à ne pas être des "écologistes benêts". Pour eux, compte tenu de « la puissance destructrice du capitalisme néolibéral » - même prenant la forme relookée d’un « capitalisme vert » - il ne saurait y avoir d’ « écologie politique et radicale », sans une « sortie du capitalisme, par des « propositions de rupture » ouvrant la voie à « un protectionnisme écologique et social ».
- Ils soulignent d’abord que « les grandes puissances économiques et les partis pro-système cherchent à récupérer à leur profit la terrible crise écologique, financière et sociale que nous subissons. » Ils montrent que, s’appuyant sur l’alibi de la révolution "verte", une grande offensive pour légitimer la croissance capitaliste est en cours. Elle repose sur « un travail idéologique formidable, qui culpabilise le citoyen à outrance pour mieux épargner les multinationales et la finance ». Qu’elle mobilise les principaux bénéficiaires de l’ordre économique mondial n’est pas une surprise. Mais, jugent-ils, « que certains écologistes, benêts ou consentants, se prêtent à ce jeu est tout simplement déplorable ».
Ils font ensuite le constat que « les médias prennent bien soin de parler d’environnement sans jamais faire de politique ». Alors qu’ils défendent les intérêts des grandes puissances « avec une complaisance à souper le souffle » : « jamais les mots tabous ne sont prononcés : capitalisme, délocalisations, libre-échange, commerce international ». Cette question n’est pas anodine : « elle soulève le problème de l’information et de son rôle dans le débat démocratique ». Par défaut, leur discours oscille entre l’alarmisme débridé, l’incitation massive aux "petits gestes" éco-citoyens, voire au déni pur et simple, à travers ironie et humour. Mais une telle juxtaposition de l’ordinaire et de l’apocalyptique ne peut nourrir chez le citoyen que doute et rejet. Résultat ? Une confiscation du débat démocratique, alors qu’il ne saurait y avoir de choix démocratique sans débat.
- Les auteurs revisitent, chemin faisant, à propos du réchauffement climatique, la polémique entre "réchauffistes" et "climato-sceptiques", mais avec mesure et arguments, en penchant néanmoins pour les thèses du GIEC. Ils indiquent qu’il y a toutes les raisons de penser qu’au XIXe siècle, la planète est entrée, avec l’industrialisation, dans une nouvelle ère géologique : l’anthropocène. Mais, au-delà de ces légitimes interrogations sur le réchauffement climatique, il faut également prendre en considération "l’érosion de la biodiversité", "l’épuisement des ressources naturelles", "l’accumulation des substances toxiques" et "la marchandisation de la nature". Ils fustigent ce "capitalisme vert" qui sait pourtant tirer profit de « la mine d’or des technologies "vertes" » : photovoltaïque, éoliennes,"droits de polluer", etc.
Pour eux, l’injustice sociale est amplifiée par la crise écologique : « les politiques écolo-libérales sont porteuses d’une profonde injustice sociale. N’en déplaise aux inconditionnels de la responsabilité individuelle, les populations les plus défavorisées, y compris dans les pays occidentaux, ont très peu de marges de manœuvres dans leurs comportements d’achats. Les personnes qui peuvent investir dans l’isolation de leur maison, dans un nouveau chauffage performant, dans une voiture moderne qui consomme peu ne sont pas des chômeurs ou des smicards. Les classes favorisées pourront donc accéder à des biens de consommation "éco-responsables", mais les classes populaires en seront le plus souvent privées ». De même, « une fiscalité écologique du type taxe carbone, frappera bien plus les classes défavorisées que les populations aisées ». De telles mesures "perpétuent la logique du capitalisme néolibéral", et aujourd’hui, « la crise environnementale est utilisée par les tenants de capitalisme néolibéral pour atteindre un objectif de plus en plus clair : maintenir les classes populaires dans la soumission ».
- Abordant les questions de la configuration politique des préoccupations environnementales, ils estiment que les choses se sont aggravées : « à présent, écrivent-ils, certains écologistes qui s’affirment de gauche vont jusqu’à assumer sans le moindre complexe un capitalisme vert qui nous promet des éoliennes et des centrales photovoltaïques par milliers, sans la moindre remise en cause de l’ordre économique mondial (…) Ils refusent consciemment d’articuler la question de l’écologie avec la question sociale ; Ils ne sont donc plus benêts mais tout bonnement dans l’imposture ». Incidemment, ils indiquent que certaines formes de la mobilisation autour de Notre-Dame des Landes « donnent à voir l’image la plus caricaturale de la décroissance qu’il plait aux médias, adeptes de raccourcis et de clichés, de colporter, pour décrédibiliser ce courant de pensée », en s’appuyant sur une "stratégie discutable de la décroissance".
Les auteurs préconisent enfin, à l’inverse, quant à eux, la sortie pure et simple du capitalisme néolibéral, pour « le remplacer sans hésiter par un socialisme écologique et républicain ». caractérisé, entre autres, par : un protectionnisme écologique et social ; la relocalisation des activités ; le droit opposable à l’emploi ; la Charte de la Havane (1948) ; des mesures de solidarités internationales - dont l’annulation de la dette des pays pauvres - et "la désobéissance européenne", le tout formant, selon eux, un ensemble cohérent.
Un livre dont on peut, bien évidemment, discuter tel ou tel argument ou jugement. Mais dont il ne fait guère de doute que la problématique générale n’est pas polluée par l’écologiquement-correct du capitalisme "vert" néolibéral et qui nous aide donc ainsi à être un peu moins "écolo-benêt" !
A.Bernier et M.Marchand, « Ne soyons pas des écologistes benêts », Ed. Mille et une nuits, 2010, 198 p., 3,5 €.
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