Reterritorialiser la politique

La crise de la politique comporte une dimension géographique par trop négligée. La mondialisation provoque à toutes les échelles, le creusement des inégalités socio-spatiales et une fragmentation des territoires qui ne signifie cependant pas pour autant leur "fin".  L’exclusion massive est ainsi le fruit de ségrégations socio-territoriales aggravées. La citoyenneté traditionnelle y a perdu des repères devenus moins pertinents. Les idéologies spatiales d’échelle unique en vogue - du mondialisme au localisme, en passant par le néo- "régionalisme" européen - ne rendent que très imparfaitement compte d’appartenances multiples et d’allégeances sociales et idéologiques désormais plus volatiles et diversifiées. Pour reterritorialiser la politique il est surtout urgent, face aux risques, de refonder la citoyenneté à partir du lieu afin, tout à la fois, de renouer le lien social et  de redonner du sens.

Avec la mondialisation capitaliste, la mise en cause généralisée des territoires aurait scellé, du même coup, la fin du politique.  Mais, sous la formule un peu rapide de "fin des territoires", c’est en fait surtout le "principe de territorialité"  appliqué aux Etats-nations qui est ainsi ébranlé. La crise de la politique garde cependant une dimension territoriale qui n’est donc pas forcément celle qui est par là désignée.

La mondialisation, si elle provoque sans aucun doute une crise du principe national de territorialité, n’a certes pas pour conséquence de rayer de la carte toute forme de territorialisation. Ce que nous apporte justement d’original la géographie, c’est la complémentarité  et la combinaison des échelles. Ne considérer ainsi que l’échelle nationale, même si c’est pour en décréter l’évanouissement, c’est ainsi s’enferrer dans l’un de ces "territorialismes" à une seule échelle,  que la pensée moderne utilise et manipule si volontiers : le mondialisme, l’européisme, le néo-régionalisme, le localisme, etc.  Mais l'objectif de  l’idéologie de la "fin des territoires" n'est-il pas précisément, avant tout, d’apporter de l’eau au moulin de la fin du politique.

Loin d’être seulement obnubilé par les effets les plus pervers de la mondialisation, il conviendrait donc aussi d’en mesurer toutes les potentialités alternatives qui vont, à l’inverse, dans le sens de la mobilisation protestataire et de la contestation du nouveau désordre mondial ainsi créé. Les possibilités semblent bien réelles et concernent aussi bien les mouvements sociaux territorialisés , que l’espace de la citoyenneté proprement politique.

Mais, au-delà de ces cas encore très embryonnaires de mouvements socio-territoriaux populaires, protestataires et reterritorialisants (ex. : le Mouvement des Sans-terre au Brésil), il demeure le problème de la dimension politique proprement dite, dont la crise a déjà été soulignée. Pour Olivier Mongin,  avec « ce double mouvement de reterritorialisation et de ségrégation [qui] accompagne l’expansion du capitalisme contemporain, la question du territoire apparaît centrale pour reprendre le fil du politique et ne pas céder à l’hypothèse de sa disparition ».

Pour donner un nouvel élan à la politique, il conviendrait donc de procéder à un effort de reterritorialisation du politique, "en archipel".  La poussée identitaire ne doit pas être unilatéralement réduite à un repli sectaire générateur de conflits et d’ épurations ethniques. La dialectique des identités et des territorialités, si elle fonctionne sous l’égide d’une culture critique, n’est pas inéluctablement synonyme d’intolérance et d’intégrisme.  C’est à ce prix que se profile une issue à la crise de la politique qui se situe dans la perspective d’une reterritorialisation "en archipel" à partir de lieux nouveaux de citoyenneté. Elle seule semble d’ailleurs véritablement capable de mettre un frein à d’autres reterritorialisations du politique, à  hauts risques, qui se déroulent actuellement.

Écrit en 1998. Publié en 1999 dans la revue La Pensée.
Pour lire le texte complet : "Mondialité et Identités"

Commentaires