Mixité sociale et Droit à la ville

Quelques lectures sur des approches nouvelles de l’urbanisme.

· "Mixité sociale" ?

Dans un riche dossier, la revue Espaces & Sociétés (1) souligne d’abord que « la mixité sociale a été consacrée comme l’antidote à la ségrégation et à la "ghettoïsation" des quartiers. Elle représente aujourd’hui, au moins en paroles, un objectif incontournable dans tout projet urbain ». Un article est consacré à la Communauté urbaine de Nantes-Métropole qui « adhère aux objectifs de mixité sociale. Elle mène une politique de logement volontariste et expérimentale, avec l’ambition de devenir une référence dans ce domaine ». Mais, là comme ailleurs, souligne P.Genestier, « le mot "mixité" désigne une notion floue, naviguant entre le pseudo concept, le slogan, l’idéal, le principe régulateur, l’utopie, le mythe et le simple argument (...) s’insérant dans des registres discursifs aussi différents que l’injonction morale, la prise de position idéologique, la description statistique, la prescription législative ». Il y a aussi un usage stratégique du terme, imposant la mixité comme thématique de discours orienté vers l’action. Mot fétiche au service d’une problématique illusoire, il suscite cependant l’espérance d’une conception plus modeste et exigeante d’un travail urbanistique se payant un peu moins de mots.

· Politique de la ville ?

Dans un petit livre publié par la maison d’édition nantaise l’Atalante, T.Paquot définit ensuite les grands traits d’un urbanisme alternatif qui doit davantage devenir notre affaire (2). « Mégalopoles multimillionnaires aux quartiers tourés, bidonvilles, étalement urbain, villages dortoirs : ces formes contemporaines des villes sont à contrer et le plus souvent à réorienter mais toujours à ménager en privilégiant l’urbanisme chronotopique, sensoriel et participatif. Tant en ce qui concerne les transports et les circulations, les équipements publics, etc... Une mutation urbaine répondant à la préoccupation environnementale, à prendre non comme une punition mais comme une chance, en osant en faire notre affaire.

En annexe, une riche promenade bibliographique fournit des références rares et précieuses sur toutes ces questions, à explorer sans modération.

· Droit à la ville ?

Enfin, pour Jean-Pierre Garnier, auteur d’un « essai sur la ville, la petite bourgeoisie intellectuelle & l’effacement des classes populaires » [sous-titre] (3), « c’est l’expulsion du peuple hors des lieux convoités par les profiteurs vers les zones excentrées ou dégradées qui constitue le fil rouge de l’histoire urbaine du capitalisme ». Cet essai parfois polémique est un recueil de textes, aux statuts divers et inégaux, publiés pour la plupart depuis 2005.

Pour H.Lefebvre, rappelle-t-il, le "droit à la ville" était avant tout le droit à la centralité urbaine et à son mouvement, à être non seulement spectateur mais acteur de ce théâtre spontané de rassemblements, de rencontres et d’échanges. De ce droit, la classe ouvrière et, d’une manière plus générale, les couches populaires se voient de plus en plus privées au fur et à mesure de leur refoulement programmé vers les périphéries de plus en plus éloignées. L’auteur souligne vivement dans l’introduction que rebaptisés catégories défavorisées, les prolétaires expulsés de la zone centrale des aires urbaines, sont désormais contraints d’habiter, non plus dans des quartiers ouvriers ni même dans la proche banlieue désormais elle-même "gentrifiée", mais bien au-delà, loin, très loin du centre, jusqu’à atteindre l’espace rural.

Contrepartie d’un processus d’élitisation du droit à la ville qui parachève la dépossession urbaine des classes populaires, cet exode périurbain est lourd de conséquences. Mais leur effacement de la cité ne signifie cependant pas leur disparition. L’hégémonie culturelle et politique des centres fait certes ressortir en creux l’invisibilité des périphéries péri-urbaines en cours de prolétarisation : « C’est dans les espaces péri-urbains et ruraux que résident majoritairement les catégories populaires, ouvriers et employés ». Forts de ce poids démographique, ces laissés-pour-compte de la métropolisation, sont dans l’attente d’une alternative politique capable de les extraire de leur marginalisation socio-spatiale.

Autant de lectures assurément utiles à la redéfinition d’une pratique d’émancipation sociale de proximité.
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1 – Espaces et sociétés, Paradoxes de la mixité sociale, 140-141, n°1-2/2010, Ed. Eres, 282 p., 28 €.
2 – T.Paquot, L’urbanisme c’est notre affaire !, Ed. l’Atalante, 2010, 174 p., 10 €.
3 – J-P Garnier, Une violence éminemment contemporaine, Agone, 2010, 254 p., 18 €.

Article publié dans les Nouvelles de Loire-Atlantique en Juin 2010

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