Communisme

Le livre « l’idée du communisme »* est issu d’une conférence qui s’est tenue à Londres du 12 au 15 mai 2009. Elle réunissait, à l’initiative d’Alain Badiou et de Slavoj Žižek, une quinzaine de philosophes du monde entier, partageant une même volonté de « remettre en circulation ce vieux mot magnifique, ne pas laisser les partisans du capitalisme libéral mondialisé imposer leur propre bilan de son usage ». La tâche est cependant énorme car, comme le souligne Michael Hardt, « Un grand nombre de concepts centraux dans notre vocabulaire politique, y compris le communisme, mais aussi la démocratie et la liberté, ont été à ce point corrompus qu’ils sont devenus quasiment inutilisables ».
Les contributions rassemblées se situent, souligne Badiou, « dans l’espace de la philosophie », avec « tout ce que celle-ci implique toujours d’engagement subjectif personnel ». D’où la diversité de « cette petite cohorte de ceux que l’opinion dominante n’intimide pas », et grâce à laquelle on mesure « comment le mot "communisme" prend, ainsi déployé dans des dispositifs de pensée souvent très hétérogènes, un relief singulier, et une actualité saisissante ».
Pour Alain Badiou, « le mot "communisme" a été pendant deux siècles, le nom le plus important d’un Idée située dans le champ des politiques d’émancipation, ou politiques révolutionnaires. Être un communiste, c’était sans doute être un militant d’un Parti communiste dans un pays déterminé, (…) un des millions d’agents d’une orientation historique de l’Humanité tout entière vers son émancipation collective. Donner un tract sur un marché était aussi monter sur la scène de l’Histoire ». Mais, pendant les trois dernières décennies, « le mot "communisme" a été soit complètement oublié, soit pratiquement identifié à des entreprises criminelles. C’est pourquoi la situation subjective de la politique est devenue partout si confuse. Sans Idée, la désorientation est inéluctable ».
Bruno Bosteels examine lui "l’hypothèse gauchiste" : « Avec sa représentation d’une lutte éternelle entre le Bien et le Mal, [elle] est aujourd’hui devenue le genre privilégié dans lequel les formes contemporaines de la postpolitique se parent néanmoins d’une aura de radicalisme de gauche après le déclin ou la mort prétendue de l’idéal révolutionnaire du communisme ». Dans le contexte actuel « quand les nouvelles formes d’organisation politique sont ou bien absentes, ou bien trop obscures, la posture la plus tentante est en effet celle de l’idéalisme radical de gauche ». Autrement dit, le gauchisme se voudrait « la belle âme du communisme », prétendant que sans lui, l’Idée communiste ne serait rien qu’ « une coquille vide, sinon un cadavre embaumé et momifié ».
Pour Peter Hallward, « le communisme est le projet par lequel l’action volontaire cherche à universaliser les conditions rendant possible l’action volontaire ». M.Hardt propose de rapprocher ces deux idées : « que la production capitaliste dépend de plus en plus du commun et que l’autonomie du commun est l’essence du communisme », pour arriver au constat que « les conditions et les armes pour un projet communiste sont aujourd’hui plus que jamais disponibles ».
Reprenant l’idée émise par Alain Badiou dans l’Humanité ("L’hypothèse communiste est l’hypothèse de l’émancipation"), Jacques Rancière affirme que « le futur de l’émancipation peut seulement consister dans le développement autonome de la sphère du commun créée par la libre association des hommes et des femmes qui mettent en acte le principe égalitaire, d’unité et d’égalité des intelligences ». Un tel processus permettra seul "d’inventer des futurs pas encore imaginables", par une capacité d’autodépassement à travers des "formes dissensuelles de combat, de vie et de pensée collectives". Une « mise en œuvre d’un potentiel d’actions collectives qui suppose la pleine restauration de l’hypothèse de confiance ».
A lire - malgré une difficulté indéniable - et à méditer.
* A.Badiou, S/Zizek, « L’idée du communisme », Nouvelles Editions Lignes, 2010, 352 p., 22€.

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