La stratégie du choc, un capitalisme du désastre

La stratégie du "traitement de choc" :
Le livre noir du capitalisme contemporain


Qu'y a-t-il donc de commun entre le coup d'État de Pinochet au Chili en 1973 ; le massacre de la place Tiananmen en 1989 ; l'effondrement de la Russie; le naufrage de l'épopée Solidarnosc en Pologne; les difficultés rencontrées par Mandela dans l'Afrique du Sud post-apartheid; les attentats du 11 septembre; la guerre en Irak; le tsunami qui dévasta les côtes du Sri Lanka en 2004; le cyclone Katrina, l'année suivante, et la pratique de la torture toujours et en tous lieux - Abou Ghraïb ou Guantànamo – jusqu’à aujourd'hui ?
Ces évènements des 35 dernières années, ont selon Naomi Klein – journaliste, essayiste et réalisatrice canadienne - un commun dénominateur : celui d’avoir chacun participé à l'avènement de ce qu’elle qualifie de "capitalisme du désastre".
S’en prenant « à la revendication centrale et révérée qui sous-tend la version officielle des faits, à savoir que le triomphe du capitalisme déréglementé est le fruit de la liberté et que la libéralisation totale des marchés et la démocratie vont de pair », elle s’emploie à « montrer que ce capitalisme fondamentaliste est toujours né des formes de coercition les plus brutales, aux dépens du corps politique collectif et d’innombrables corps humains au sens propre ».
Ce "capitalisme du désastre" actuel est, selon elle, devenu "un complexe tentaculaire, plus vaste encore que le complexe militaro-industriel" US des années 50. Dans tous les pays où des politiques de "thérapie de choc", professées par l’école de Chicago (M.Friedman, F.Hayec), ont été appliquées, « on a assisté à la formation d’une puissante alliance entre les très grandes sociétés et des politiciens pour la plupart riches ». Elle qualifie ce capitalisme de "corporatiste", dans la mesure où "il se caractérise par d’immenses transferts de ressources publiques vers le secteur privé", accompagnés "d’une explosion de l’endettement, de l’accroissement de l’écart entre les riches à outrance et les pauvres sans importance et d’un nationalisme exacerbé qui justifie des dépenses colossales dans le domaine de la sécurité". Soulignant que : "pour ceux qui font partie de la bulle d’extrême richesse ainsi créée, il n’y a pas de moyen plus rentable d’organiser la société".
La démonstration est saisissante. Cette monumentale investigation journalistique de près de 700 pages – qui se lisent facilement, malgré quelques défauts de traduction (ex : "gauchiste", pour "de gauche", ou "populiste" au lieu de "populaire") – revisite ainsi, à partir de témoignages et d’archives secrètes déclassifiées, l’histoire mondiale occultée du "libre marché" avec sa "dépendance à l’égard des chocs en tous genres". Son enquête approfondie met en évidence "les liens entre mégaprofits et mégadésastres", au cours de la montée d’une vision des marchés qui règne désormais partout sur la planète et de "l’idée d’exploiter les crises et les désastres comme modus operandi du mouvement de (...) ce capitalisme fondamentaliste [qui] a dû compter sur les catastrophes pour progresser". L’histoire du libre marché contemporain – à comprendre plutôt comme celle de la montée du "corporatisme", collusion des firmes et des États – s’est écrite à grand renfort d’électrochocs, tous ces "traumatismes ayant servi à affaiblir les résistances" sociales et populaires.
Dans ce contexte, les mesures prises au nom de la défense des Droits de l’Homme, ne l’étaient "dans le dessein de terroriser la population et de préparer le terrain à l’introduction de réformes radicales axées sur la libéralisation des marchés : privatisations, déréglementation et réduction draconiennes des dépenses publiques", la sacro-sainte trinité néolibérale.
La France, longtemps foyer de résistance, y apparaît finalement comme tard-venue, sous Sarkozy, à l’orthodoxie fondamentaliste du traitement de choc voulu par ce capitalisme du désastre. Un livre passionnant qui constitue, on le voit, une lecture indispensable à la réévaluation des enjeux du temps présent et à venir.

N.Klein, "La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre", Ed.Actes Sud Coll : Essais Sciences, 2008, 669 p., 25 €

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