Au-delà du « moment Sarkozy », quel avenir dans l’ « après démocratie » ?
Tout à la fois politologue, historien, économiste et sociologue, Emmanuel Todd poursuit depuis des décennies une œuvre qui cherche à décrypter, non sans pertinence, les évènements du quotidien à travers les tendances du temps long de la démographie et de l’anthropologie contemporaines.
Il part ici d’un constat à propos du « moment Sarkozy » actuel. N.Sarkozy peut, selon lui, servir de guide, involontaire, dans l’examen du mal qui ronge notre pays. Cinq de ses caractéristiques permettent d’aborder les problèmes de fond de la société française : incohérence de la pensée, médiocrité intellectuelle, agressivité, fascination de l’argent, instabilité affective. Chacune renvoyant respectivement au vide idéologique et religieux dans notre pays : à la stagnation éducative facteur de crise de la démocratie ; à l’exclusion des non-citoyens ; à l’incapacité des élites à affronter les questions du libre-échange, de l’appauvrissement et de la montée des inégalités ; à l’évolution des valeurs familiales.
L’auteur le souligne d’entrée : « Nous abordons ici une problématique plus vaste : celle de la décomposition politique. S.Royal et N.Sarkozy ne sont pas concevables séparément : ils constituent un tandem. Aux yeux de l’historien et du sociologue, ils ne sont que les symptômes complémentaires d’une situation globale de vide idéologique et d’une montée en puissance des forces négatives, antidémocratiques, dont l’analyse fait l’objet de ce livre ».
Dès lors, il s’efforce de replacer ce « moment Sarkozy » dans une perspective sociologique et historique longue. Des forces aussi lourdes qu’impersonnelles sont à l’œuvre et l’accident apparent prend tout son sens : le véritable problème n’est pas Sarkozy, mais un ébranlement général de la démocratie.
Alors que dans un premier temps l’alphabétisation de masse, par la généralisation de l’instruction primaire, avait homogénéisé la société, la poussée culturelle des l’après-guerre puis son blocage vers 1995, ont séparé les éduqués supérieurs du gros de la population, créant une structure stratifiée au sein de laquelle les couches superposées ne communiquent plus. L’implosion des idéologies religieuses et politiques a achevé de fragmenter la société : chaque métier, chaque ville, chaque individu tend à être une bulle isolée, confiné dans ses problèmes, ses plaisirs et ses souffrances. L’establishment politico-médiatique n’est qu’un groupe autiste parmi d’autres, simplement plus visible.
La crise de la société française – et des sociétés occidentales en général – conduit l’auteur à se poser une question de fond : faut-il aller, parmi plusieurs hypothèses, jusqu’à envisager la disparition du système démocratique ? Et, par voie de conséquence, quel système serait alors susceptible de le remplacer ?
Cet ouvrage combine avec brio l’analyse instantanée et l’étude des processus de longue durée pour envisager la situation de la politique et de l’économie et l’évolution des structures familiales. De ce travail d’investigation, surprenant à chaque page, se dégagent, entre autres thèmes, le caractère fondamentalement religieux de la crise actuelle (le religieux étant considéré comme structurant la société), le pessimisme culturel ambiant (conséquence de la stagnation éducative), la réapparition d’une stratification de la société (l’ascenseur social cher à la démocratie faisant place à l’instauration d’une nouvelle oligarchie), l’impact du libre-échange provoqué par la mondialisation, la possibilité d’une réémergence de la lutte des classes (conséquence de la disparition des classes moyennes)…
Dans cet ouvrage qui se soucie bien peu de faire grincer des dents, ne ménageant personne dans aucun camp, E.Todd se distingue une nouvelle fois dans son rôle d’intellectuel critique, en observateur qui ironise volontiers, tout en se passionnant et en nous passionnant pour ce sujet essentiel : où va notre société ?
A lire, toute affaire cessante.
E.Todd, Après la démocratie, Gallimard, nov.2008, 260 p., 18 €
Article publié dans les Nouvelles de Loire Atlantique n°860, novembre 2008
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