Crises financières : pourquoi, jusqu’à quand et comment en finir ?


Le cours stupéfiant pris par la crise depuis septembre 2008 a littéralement pulvérisé toute stratégie attentiste. Selon F.Lordon, désormais « nul ne peut plus feindre d’ignorer que ce sont les structures mêmes des marchés de capitaux libéralisés qui sont en question, et que les laisser à l’identique vaut ipso facto renouvellement à l’abonnement "crise et krach" ».
L’auteur nous livre en ce sens ici la première analyse critique, non opportuniste ni révisionniste, des origines historiques et techniques de la crise financière. Pour lui, « les années 2007-2008 sont appelées à figurer très haut dans l’histoire de la déraison financière ». Depuis que la déréglementation est sur les rails, observe-t- il, de 1987 à 2008 il ne s’est pas passé plus de deux ans et demi sans secousse majeure. Comment ne pas y voir une série, face à laquelle il n’est guère d’autre solution que d’abandonner les évocations grandioses et fallacieuses de « l’histoire », pour ouvrir la boite noire de la finance ?
Certes son analyse est-elle pointue, mais elle mérite cependant l’effort qu’elle exige sachant que « par une injustice politique classique la critique radicale est d’emblée jugée illégitime quand bien même les évènements ne cessent de lui donner raison. Surmonter cet obstacle exige qu’elle ne cède en rien dans la technicité, prix à payer pour mieux accéder au discours politique ».
La crise financière, qui met en évidence le délabrement néolibéral, serait-elle donc le signe annonciateur d’un changement d’époque ? A l’heure de sa crise, le capitalisme financiarisé mérite le nom disgracieux, mais rigoureux, de « capitalisme de déréglementation à dominante financière ». Il est structurellement un régime de basse pression salariale, auquel la béquille du crédit à haut débit sert de perfusion : « drogue dure d’un régime à basse pression salariale, la dette des ménages est poussée jusqu’à ses dernières limites ». De la sorte, « par ses volumes colossaux, par le nombre des ménages qu’ils concerne, par le poids des engagements individuels qu’il suppose et par ses effets d’entraînement de toutes sortes, il se pourrait bien que l’immobilier ait été le véritable cœur de l’économie étasunienne, sans doute moins glamour que toutes les mythologies technicistes, entrepreneuriales et flexibles  savamment entretenues à son propos ».
Alors que dans le même temps, en France, « on travaille juste à installer complètement le modèle importé des Etats-Unis au moment où celui-ci entre en crise », une occasion est offerte de briser quelques lances avec la gauche de la droite (E.Cohen, N.Baverez, J.Attali) et ces « spécialistes  disqualifiés » pourtant toujours omniprésents : « A la télévision, à la radio, dans la presse écrite, qui pour commenter l’effondrement du capitalisme financier ? Les mêmes bien sûr ! Tous, experts, éditorialistes, politiques, qui nous ont bassinés pendant deux décennies à chanter les louanges d’un système qui est en train de s’écrouler : ils sont là, fidèles au poste, et leur joyeuse farandole ne donne aucun signe d’essoufflement. Tout juste se partagent-ils entre ceux qui, sans le moindre scrupule, ont retourné leur veste et ceux-là qui, un peu assommés par le choc, tentent néanmoins de poursuivre comme ils peuvent leur route à défendre l’indéfendable au milieu des ruines » (F.Lordon, Le Monde Diplo., nov. 2008).
Les socialistes français ont décidé, quant à eux, dans leur charte des principes fondamentaux, de déclarer leur adhésion sans réserve à l’idée du « marché », au moment précis où le capitalisme déréglementé part en morceaux.
Quel devrait cependant être l’enseignement principal de cette énième, mais singulière, secousse de la finance en tant qu’elle signale les limites du régime d’accumulation où elle se trouve incluse ? Si la réponse déborde le seul cadre de la finance, alors la réponse se doit d’être à la hauteur : s’il ne s’agit pas d’une crise de la seule finance, mais bel et bien d’une crise du régime de croissance, c’est bien l’ensemble des formes du « capitalisme déréglementé à dominance financière » qui appelle une profonde transformation, avec dans la foulée de celle de la finance, immédiatement, celle de la concurrence. En ce sens, l’auteur, sur la base de six principes, avance « neuf propositions pour en finir avec les crises financières ». 
Une lecture un peu difficile certes, mais assurément éclairante et salutaire. 
F.Lordon,  "Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières…", Ed. Liber, Coll. Raisons d’agir, octobre 2008, 220 p., 10 €.

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