Enjeux cruciaux du réaménagement des territoires
La question des échelles et de la pertinence des territoires vient a l’ordre du jour, alors que le gouvernement veut inscrire la réforme territoriale à son agenda 2009, Sarkozy étant déterminé à s’attaquer au "millefeuille" territorial français (Les Echos du 13/08/08).
« Quels espaces pour demain ? » est un ouvrage réalisé à l’initiative d’E.Orsenna, et P.Bernasconi président de la FNTP à partir des échanges d’une rencontre nationale du début 2008.
Le livre se fixe l’objectif de stimuler le débat public sur les enjeux, pour demain, de l’espace et du territoire. En cinq chapitres – Espace et décision politique, Espace et cohésion sociale, Espace et mobilité, Espace et ruralité, Espace et Europe –, des intervenants de toutes les disciplines, histoire, philosophie, architecture, urbanisme, sociologie, politique, économie, y examinent le contexte général des problématiques des grands travaux d’équipement.
Partant d’un constat : dans la France d’aujourd’hui, la programmation de l’avenir leur paraît avoir déserté le terrain de l’espace, du territoire. L’aménagement du territoire, qui était une "ardente obligation" (De Gaulle), a été depuis mis en sommeil. Il ne paraît plus un véritable enjeu, malgré les villes congestionnées, la montée des ghettos, la dégradation de certains réseaux secondaires, l’exode rural anarchique, la perte d’attractivité de nos ports et le renforcement du tout camion à l’inverse de la multimodalité du transport de fret.
L’impression dominante est celle de l’impuissance du politique, confronté à la complexité grandissante des interactions, et à la multiplication des instances de décision. Comment redonner au politique du pouvoir sur l’espace ? Non seulement à l’intérieur de l’Hexagone dans notre millefeuille territorial décentralisé, mais également dans l’espace européen, où le marché unique ne veut pas dire, loin s’en faut, "espace unique".
Selon P.Veltz, depuis vingt, trente ans, « nous sommes en train de vivre un bouleversement, un télescopage des échelles », dans une fragmentation du territoire où émergent les enclaves, les pôles ou districts spécialisés et les grandes métropoles. C’est ainsi, selon lui, que « contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le territoire résiste » ; à travers ce « grand paradoxe : dans la globalisation le local revient très fort ». Aujourd’hui, dans ce feuilleté local bricolé, « une grande partie de nos institutions politiques ne sont tout simplement plus à la bonne échelle ».
La ville elle-même part en morceaux, quartiers et ghettos. A cette relégation répondent et la gentrification – rénovation des quartiers centraux - et une péri-urbanisation lointaine entraînant des sauts de moutons permanents entre les espaces "à dormir", les espaces "à travailler", et les espaces "à détente".
Quant à l’espace rural, les "nouveaux ruraux", y sont pour l’essentiel de jeunes actifs qui, tout en conservant leur emploi en zone urbaine, ont décidé d’installer leur famille en milieu rural. Ce qui est source de frustrations pour la satisfaction des besoins en équipements collectifs et en services publics. Dans un premier temps, leur démarche reste d’abord celle de consommateurs, qui attendent que leur nouvel espace leur procure tous les avantages pratiques d’une vie en milieu urbain, en même temps qu’une meilleure qualité de vie en milieu rural. Pour les grandes agglomérations, l’espace rural devient à la fois zone de "délestage" et "décompression" (R.Carron), avec son cortège de fractures, notamment dans la numérisation du territoire à l’heure du très haut-débit et de la fibre optique.
La restructuration en cours des services publics – hospitaliers, judiciaires – pose d’ailleurs explicitement la question de l’inégalité des territoires, de l’équilibre du monde rural périurbanisé. Ce livre fait ainsi la démonstration que réfléchir à l’espace, c’est se trouver d’emblée confrontés aux déchirures, aux incertitudes, au manque d’ambitions. Dans ce contexte, « la géographie est aujourd’hui un point de vue irremplaçable » en ce qu’elle pose les questions cruciales de compétitivité économique, de cohésion sociale et d’identité patrimoniale. D’où cette conclusion : redonner du pouvoir au politique devra nécessairement passer par le renforcement du contrôle démocratique sur les grandes décisions d’aménagement de l’espace.
E.Orsenna & P.Bernasconi : « Quels espaces pour demain ? », Ed.Stock, 2008, 202 p., 20 €
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