Nouveaux regards sur le « postcolonial »


Un état des lieux à l’heure du Sarkozysme

A l’origine de ce livre, il y a plus qu’un débat sur une loi : la question des formes du « retour du colonial » en France, posée dans un colloque les 22-23 mai 2006. A un premier travail publié sous le titre « Des crimes contre l’humanité en République française » (l’Harmattan, 2005),  « il manquait, explique C.Coquio, malgré la part faite à l’Afrique, un chapitre sur la relation française à son passé colonial. Depuis, vu l’ampleur des évènements qui se sont succédés à ce sujet, il était inévitable que ce chapitre devienne un livre ». C’est fait, avec cette nouvelle publication de la maison d’édition nantaise l’Atalante.
Certes, on ne compte désormais plus les revues, les ouvrages et articles qui reviennent sur le « trou de mémoire colonial », sur la rupture manquée de la « décolonisation » , sur la « société française au prisme de l’héritage colonial », et sur le retard français en matière d’ « études post-coloniales ». Sous forme de collectifs, de colloques, de dictionnaires, voire de répertoire, études et publications se multiplient. Deux mouvements s’y conjuguent cependant : d’une part un retour critique, symptomatique sur le fait colonial lui-même, trop longtemps contourné ou enfoui, sous forme d’un « retour des mémoires coloniales », comme une « revenance » des colonies qui viendrait hanter le présent de la métropole. D’autre part, un retour politique cette fois : à l’heure des bilans critiques, alors que la République institue une Journée des mémoires de la traite négrière (10 mai 2006) , crée un Musée des arts et civilisations (juin 2006), et même un Cité nationale de l’histoire de l’immigration (octobre 2007), un certain idéal colonial prend brusquement la forme d’une véritable contre-offensive politique et idéologique. La revalorisation de l’histoire coloniale, de thème de campagne, est devenue programme présidentiel pour N.Sarkozy. Cultivant le malentendu polémique, il refuse que la France « s’agenouille » et écarte avec fracas toute idée de « repentance »,.
Dans ce nouveau contexte, l’ouvrage regroupe fort à propos les contribution de dix-sept historiens, écrivains, philosophes, psychanalystes français et étrangers. Il est dirigé par C.Coquio, professeur à l’université de Poitiers et présidente de l’AIRCRIGE (Association internationale de recherches sur les crimes contre l’humanité et les génocides) .
Dans une première partie, il évoque non seulement la politique et l’histoire, mais aussi le droit. Alors qu’un article vigoureux de P.Hauser dénonce « le mensonge comme opérateur politique », à propos de la loi du 23 février 2005 « (« Lorsque le législateur croit pouvoir se substituer à l’historien, le risque, c’est qu’il devienne un juge du passé, et que la préférence et la partialité l’emporte sur la neutralité et l’explication objective »), une analyse de B.B.Diop condamne vivement « le discours impardonnable de Nicolas Sarkozy » à Dakar, en juillet 2007 : « un cas de figure unique », dit-il, celui d’ « un président étranger faisant le procès de tous les habitants d’un continent sommés d’oser enfin s’éloigner de la nature pour entrer dans l’histoire humaine et s’inventer un destin ». Quant au droit, ou plutôt son déni, sous le titre « qu’importe le cri pourvu qu’il y ait l’oubli », S.Garibian effectue un rigoureux « retour sur la jurisprudence de la Cour de cassation relative aux crimes français commis en Algérie et en Indochine ». Pour parvenir à ce constat : « prescrits, amnistiés ou exclus d’emblée du champ du droit des crimes contre l’humanité, les crimes français commis dans le contexte de la décolonisation sont insaisissables par le droit. Le constat est amer car le verrouillage est efficace », et « on voit alors en quoi la privation de l’accès au prétoire participe, parfois, de celle de l’accès à l’histoire ».
Une deuxième partie aborde les rapports complexes entre « mémoires et représentations ». P.Blanchard y revient sur « l’impossible débat colonial » actuel. Il y décrit en ce sens la « nouvelle stratégie officielle » en matière de mémoire coloniale : « Le discours officiel émerge en filigrane des mots employés : reconnaissance, action positive, sacrifice des bâtisseurs d’empire pour le système colonial et l’action de la France outre-mer. La nouvelle ligne officielle sera donc duale : reconnaissance des exactions et des crimes les plus graves et les plus symboliques (répression policière contre les militants algériens dans Paris le 17 octobre 1961, massacres de l’armée française dans le Constantinois en mai 1945, répression militaire et policière à Madagascar en 1947, tortures par l’armée en Algérie entre 1956 et 1960…) ; et affirmation des bienfaits de l’entreprise coloniale dans sa démarche et ses objectifs, ou des apports positifs de la colonisation, comme le souligne le discours de Dakar. Il s’agit, en gros, de condamner les dérapages, pour sauver la système, avec quelques nuances cependant sur la nécessité de pacifier les mémoires », et la volonté de tourner définitivement cette page de notre histoire, y compris celle de l’esclavage, pour donner un nouvel élan au processus d’intégration. C’est toute la dialectique du discours de Dakar qui reprend cette posture ».
Enfin, la troisième partie traite la question de la francophonie, par un questionnement culturel et une approche critique du concept même de « postcolonial ».
Ouvrage riche et ambitieux, on le voit, au sens où il n’hésite pas à se pencher sur les aspects les plus enfouis du fait colonial et de ses suites actuelles, « Retours du colonial ? » met pourtant clairement en perspective la politique de l’État français à l’égard des territoires et des populations issues de ses anciens territoires coloniaux, les analyses et recherches consacrées à ces questions et les idées qui circulent à ce sujet dans l’opinion. Cet essai exigeant, érudit tout en restant abordable, conduit ainsi, de manière salutaire, une réflexion sur ce qui s’est constitué et perpétué à partir de la relation coloniale aux plans politique, idéologique, juridique et culturel.

Retours du colonial ? disculpation et réhabilitation de l’histoire coloniale”, C.Coquio (dir.), Ed. L’Atalante, Nantes, avril 2008, 320 p. 16 €

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