Au-delà du "nom de Sarkozy" : « L’hypothèse communiste » vue par Alain Badiou
Le livre d’Alain Badiou, philosophe, n’est pas un livre de plus sur N.Sarkozy. De quoi, pour lui, « Sarkozy est-il le nom ? »
Le nom de la peur et de la guerre
Nous avons affaire aujourd’hui, comme à partir de 1840, dit-il, « à des capitalistes absolument cyniques, de plus en plus animés par l’idée qu’il n y a que la richesse qui compte, que les pauvres ne sont que des paresseux, que les Africains sont des arriérés, et que l’avenir, sans limite discernable, appartient aux bourgeoisies « civilisées» du monde occidental. »
A.Badiou estime pourtant que le nom de Sarkozy incarne une société qui a peur. « Je sens, dit-il, dans cette société la demande d’un maître protecteur qui sera justement capable d’user aussi de violence contre ceux dont vient la peur ». Elle vient de ce que la France est aujourd’hui, après une longue histoire glorieuse, une puissance moyenne encore dotée de privilèges et de richesses considérables. Mais dans un monde dominé par des colosses émergeants, comme la Chine ou l’Inde, ou des puissances plus fortes comme les Etats-Unis. L’avenir de la France y est donc incertain. « Nous ne savons pas où va ce pays. Il sait qu’il a un grand passé, mais il doute qu’il ait un grand avenir. Et ça crée un sentiment de peur, un sentiment de renfermement , une demande de protection et Sarkozy est un des noms de ce phénomène ».
Pour autant, « nous ne laisserons pas le triomphal Sarkozy nous dicter le sens de l’existence (…). Car ce à quoi nous assistons n’impose nullement le renoncement à l’hypothèse communiste, mais seulement la considération du moment où nous en sommes de l’histoire de cette hypothèse ».
L’hypothèse communiste
Au fond ce qui s’appelle communisme - c’était déjà le sens que lui donnait Marx dans les Manuscrits de 1844 - c’est une société qui est délivrée de la règle des intérêts, dans laquelle ce qu’on cherche, ce qu’on fait, ce qu’on veut, n’est pas réglé par les intérêts individuels ou les intérêts de groupe. « L’hypothèse communiste est qu’une autre organisation collective est praticable, qui éliminera l’inégalité des richesses et même la division du travail: tout un chacun sera un « travailleur polyvalent », et, en particulier, les gens circuleront entre le travail manuel et le travail intellectuel, comme du reste entre la ville et la campagne. » Le communisme étant le nom de cela, il existe en fait depuis très longtemps. Dans la révolte des esclaves contre les Romains, la révolte de Spartacus, il y avait déjà la revendication que l’on compte tout le monde, et que tout le monde existe dans une figure égalitaire.
Les séquences de l’hypothèse
L’hypothèse communiste a déjà connu plusieurs périodes historiques. La première séquence va de la Révolution française à la Commune de Paris, 1792 à 1871. « Depuis la Révolution française et son écho progressivement universel, depuis les développements les plus radicalement égalitaires de cette révolution — entre les décrets du Comité robespierriste sur le maximum et les théorisations de Babeuf — nous savons que le communisme est la bonne hypothèse ». Sous la forme que lui donnent certains penseurs et activistes de la Révolution française, elle inaugure la modernité politique.
La deuxième séquence va de 1917 (la Révolution russe) à 1976 (la fin de la Révolution culturelle en Chine, mais aussi la fin du mouvement militant surgi, partout dans le monde, aux alentours des années 1966-1975.
Ces séquences de l’hypothèse communiste sont séparées par des intervalles dans lesquels ce qui l’emporte, en termes d’équilibre et de stabilisation, n’est aucunement l’hypothèse communiste. On y déclare au contraire que cette hypothèse est intenable, voire absurde et criminelle, et qu’il faut y renoncer. Ainsi nous retrouvons Sarkozy: en finir avec Mai 68 une fois pour toutes.
L’avenir de l’hypothèse communiste
Ce qui est à l’ordre du jour désormais, depuis l’expérience négative des Etats socialistes, et depuis les leçons ambiguës de la Révolution culturelle et de Mai 68 c’est de faire exister l’hypothèse communiste sur d’autres modes que ceux des précédentes séquences. Si elle reste la bonne perspective, ce qui nous est imparti comme tâche, c’est d’aider à ce que se dégage un nouveau mode d’existence de l’hypothèse, par le type d’expérimentation politique auquel elle peut donner lieu. Instruits par ces deux séquences, nous devons revenir vers les conditions d’existence de l’hypothèse communiste, et non pas seulement en perfectionner les moyens. Nous ne pouvons nous satisfaire de la relation dialectique entre l’Etat et le mouvement de masse, de la préparation de l’insurrection, de la construction d’une organisation disciplinée puissante.
Nous devons, en réalité, réinstaller l’hypothèse dans le champ idéologique et militant. Soutenir aujourd’hui l’hypothèse communiste dans l’expérimentation locale d’une politique, voilà, selon A.Badiou, la condition minimale pour que le maintien de l’hypothèse apparaisse aussi comme l’évidence de sa transformation.
A l’heure de l’intervallaire ultralibéral sarkozien, une réflexion originale et décapante, une lecture enrichissante et suggestive.
A.Badiou : « De quoi Sarkozy est-il le nom ? », Nouvelles Éditions Lignes, 14 €, 2007.
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