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Extraits de la présentation :
Cette thèse est consacrée à l’examen de la question géographique centrale du lien spatial (Guy DI MÉO), selon une thématique de l’évolution des rapports entre identités et territorialités, tels qu’ils s’établissent plus particulièrement aujourd’hui dans la région du Nordeste brésilien et dans les limites territoriales de l’État du Rio Grande do Norte. On sait que, concernant l’ensemble de cette région, la représentation habituelle des rapports spatiaux et des formes qu’ils engendrent privilégie de longue date la problématique de la seca dans le cadre du triptyque régional traditionnel : Litoral/Agreste/Sertão.
L'analyse nécessite d’abord un effort de définition des concepts d’identité et de territorialité, dans une perspective à la fois critique et radicale. L’approche des identités individuelles et collectives, souvent considérées sous bien des aspects culturels, historiques ou sociologiques, etc... ne saurait négliger plus longtemps leur dimension proprement territoriale. La territorialité concerne ainsi toutes les formes et modalités d’appropriation de l’espace en un territoire social différencié. Cette appropriation est aussi bien idéelle que matérielle et s’opère à travers tout un large éventail de pratiques multidimensionnelles : productives, sociales, idéologiques, culturelles, affectives, imaginaires et, même, mythiques.
Notre théorisation propose le dépassement de la “logique formelle” qui est celle du sens commun. Si elle s’accorde volontiers à l’empirisme traditionnel de la géographie, elle échoue cependant à rendre compte des contradictions actuelles du réel : pourquoi des décennies de “modernisation” n’aboutissent-elles finalement qu’à l’accroissement des inégalités ? Pourquoi “l’aménagement” régional (Planejamento) n’a-t-il en rien corrigé des disparités toujours aussi criantes ? Pourquoi la politique d’açudagem n’a-t-elle aucunement atténué les effets de la seca, comme on a pu le constater encore en 1997-98 ? Seule le recours à la “logique dialectique” (H.MARCUSE et H.LEFEBVRE) peut permettre de mieux cerner les effets paradoxaux de ce qui doit être envisagé comme une véritable “dialectique socio-spatiale”(E.SOJA). Plus que la science de l’organisation de l’espace, ou même du pouvoir (C.RAFFESTIN, P.CLAVAL), la géographie nous semble ainsi devoir être celle des territorialités socialement différenciées. Au-delà des apparences peut-être trompeuses d’un consensus spatial qui masque trop bien ses failles, il faut pourtant bien donner toute sa place à la contestation des classes populaires. : avec les paysans sans-terre déruralisés et les pauvres urbains périphérisés elles sont toujours les principales victimes d’un ordre territorial injuste (E.SOJA). Mais ces “sujets irrévérents” (A.NOGUEIRA) peuvent aussi devenir les nouveaux acteurs d’une “microphysique du pouvoir” (M.FOUCAULT) et d’une “pédagogie en mouvement”, se déployant à l’échelle des divers lieux et terrains de leurs luttes.
Cette “économie d’archipel” (P.VELTZ), si elle multiplie des enclaves étroites de modernité (“condominios fechados”, shopping-centers, plates-formes pétrolières, isolats touristiques...), élargit aussi les espaces d’éviction et de relégation, les angles-morts et les périphéries : diagonale de la déruralisation, “agglomérats d’exclusion”(R.HAESBAERT) comme pour les ex-travailleurs du sel (comme à Macau) ou pour les paysans à la fois déruralisés et pseudo-urbanisés. L’espace ainsi produit est donc sans cesse davantage fragmenté. Son appropriation sociale différenciée et multiforme est rendue du même coup plus difficile et conflictuelle. Ces évolutions entraînent surtout l’aggravation des injustices socio-spatiales, aussi bien dans les campagnes que dans les villes. Les territorialités et identités traditionnelles en sont fortement ébranlées. De nouvelles se cherchent, en cette fin de siècle qui correspond aussi à une fin de “cycle T.D.R.” [1] (Y.BAREL, C.RAFFESTIN, J-P.FERRIER). Elles se traduisent, dans les années 90, par un développement nouveau des mouvements socio-territoriaux : les MSU (Mouvements socio-urbains) à Natal, et l’activité plus radicale encore du MST (Mouvement des travailleurs ruraux Sans-Terre) (B.M.FERNANDES) dans certaines régions rurales.
Nous sommes dès lors conduits à poser le problème ainsi : les effets contradictoires d’une modernité plus qu’ambiguë (J.CHESNEAUX), associés au maintien d’énormes écarts sociaux, exigent la prise en considération des paradoxes d’une situation régionale tendue et conflictuelle. La "modernisation conservatrice" (B.BECKER, C.BUARQUE) y a surtout engendré des mutations spatiales déstabilisatrices : accentuation des polarisations urbaines, axialisation des dynamiques territoriales, différenciation intra-régionale plus poussée du fait de la relance-concentration d’anciennes productions (sel et canne à sucre) et du déploiement de nouvelles activités (pétrole et tourisme).
La crise et les mutations contemporaines des territorialités populaires dans le Rio Grande do Norte entraînent et accélèrent ainsi l’émergence d’identités socio-spatiales nouvelles. Elles n’ont assurément pas fini d’exercer leurs effets et elles exigeraient sans aucun doute une attention soutenue et poursuivie. Mais ce qui semble certain c’est que seule une géographie à la fois humaniste, sociale et critique, qui n’éluderait pas plus longtemps ni aussi complètement les contradictions et la conflictualité socio-spatiales, pourra être véritablement en mesure de contribuer à l’examen des évolutions localisées du lien spatial entre les identités et les territorialités. N’est-ce d’ailleurs pas ainsi qu’elle saura aussi faire face aux pronostics pessimistes sur une imminente “fin de la géographie” (P.VIRILIO), c’est-à-dire en faisant à la fois la démonstration de son utilité sociale (D.RETAILLE) et de sa validité scientifique ?
J-Y Martin, octobre 1998
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