Déficits démocratiques de la "République antiparticipative"

Cet ouvrage intitulé "La république antiparticipative" se propose d’examiner « les obstacles à la participation des citoyens à la démocratie locale ». Très ancré dans les réalités grenobloises, il est le fruit des journées d’études des 16 et 17 novembre 2007 sur la "Démocratie participative",  ayant pour objectif d’ « analyser les différents obstacles rencontrés par nos concitoyens pour participer plus activement à la vie publique locale ». Mais il a assurément une valeur plus générale qui ne peut laisser indifférents les élus locaux et les militants associatifs et politiques de proximité, soucieux de "démocratie participative". A partir de descriptions et d’arguments, il se veut  une "mise en garde" à propos des « multiples obstacles institutionnels et coutumiers à la participation des citoyens ».

Sa principale conclusion semble sans appel : « Ce que l’on appelle la démocratie participative est une excellente démarche tant qu’elle n’est pas un cache-misère, voire une diversion, par rapport au fait que l’ensemble du système français de démocratie locale dysfonctionne  et se trouve ainsi être le principal responsable de la désaffection  des citoyens. Rendre la république elle-même enfin participative, telle nous a semblé et nous semble toujours être la priorité, avant d’encourager des milliers de collectivités territoriales à échafauder, chacune dans son coin, des dispositifs participatifs, tous plus ingénieux les uns que les autres, mais ensemble incapables de corriger les caractère massivement dissuasif du système politique et administratif territorial ».
Parmi certaines erreurs à ce sujet,  le maître d’œuvre de ces rencontres, Jean Tournon, dénonce notamment celle qui consiste à « appeler démocratie participative les diverses stratégies concoctées par des élus ou des spécialistes et qui sollicitent un petit nombre de citoyens pour qu’ils parlent à la place du grand nombre, autrement dit pour représenter la totalité ». Selon lui,  l’une des causes majeures du "mauvais départ" de la démocratie participative, viendrait même de l’inventivité qui consiste essentiellement à fabriquer des représentants (« les conseils et aréopages consultatifs de toutes sortes, les jurys citoyens, les sondages, les conférences de consensus, les groupes focus, etc. ») qui ont comme point commun de produire une parole censée être celles de citoyens. Or, ces dispositifs censément participatifs, sont en réalité représentatifs, estime-t-il.

Carences de la démocratie représentative locale

Pour Marion Paoletti (chap. 2), il s’agit donc de "démocratiser d’abord", compte tenu des "criantes carences" de la démocratie représentative.
Pour elle, depuis 1982, il y a trois tabous majeurs, trop passés sous silence, qui affaiblissent l’idée même de démocratie représentative locale :
-         D’abord, la toute puissance du patron de la collectivité locale (municipalité, département, région) sur "son" exécutif et "son" assemblée, empêche les contrôles et nuit aux discussions au sein des collectivités locales. Elle souligne même le "caractère féodal du pouvoir local".
-         Ensuite, la multiplication des structures et la complexité du système local favorisent une déconnexion entre la prise de décision politique et institutions élues au suffrage universel. Dès lors, « tout se passe au sein de l’exécutif,  à un troisième niveau de délégation », et « les intercommunalités sont habituées aux tractations entre élus, qui constituent le principe même de leur mode de gouvernement ».
-         Enfin, ce qu’on appelle la démocratie locale est bien trop soumise aux archaïsmes du Sénat qui figent les inégalités de représentation entre la France rurale et la France urbaine et, plus généralement, toute évolution réelle de la démocratie locale. 
Résultat ? « La démocratie représentative locale ne connaît ni débats contradictoires dans les assemblées, ni contrôle et transparence conformément à une logique démocratique idéale. La démocratie représentative locale reproduit, en pire, les travers de la Ve République : présidentialisme, personnalisation, inféodation des assemblées, puissance de l’exécutif, faiblesse des contre pouvoirs, absence de contrôle, montée en puissance des technostructures ». Pour M.Paoletti, « la décentralisation des pouvoirs de l’Etat sans ambition réformatrice de l’architecture institutionnelle locale a essentiellement provoqué un jacobinisme local, une forme de césarisme localisé, non pas le renouveau démocratique attendu ».
En conclusion, pour elle,: « le statu quo et les réformes impossibles en matière de démocratisation locale éclairent en partie les dimensions incantatoires et récurrentes de l’appel à la participation des habitants au plan local, sans qu’aucun progrès décisif, aucune redéfinition des relations gouvernants/gouvernés n’ai réellement eu lieu depuis 25 ans. Avec ses institutions trop nombreuses, présidentialistes, et son système de décision à quelques-uns, la démocratie représentative locale n’est guère favorable à la participation des habitants qu’elle prétend solliciter ».

Le "grand trou noir" de l’intercommunalité

Pour l’un des auteurs, aujourd’hui, plus précisément encore, « le grand trou noir, c’est la démocratie et la participation à l ‘échelle des intercommunalités. Non seulement les conseillers communautaires ne sont toujours pas élus au suffrage universel direct, mais les instances de participation, comme les conseils de développement, connaissent un période de doute et d’interrogation. La démocratie ne fonctionne même pas de manière satisfaisante entre les conseils municipaux et les délégués au sein des conseils communautaires. Il existe, à cette échelle, un champ considérable dans lequel les citoyens sont presque absents, et sur lequel il est indispensable de faire progresser la démocratie ».
Pour le coordinateur de l’ouvrage, Jean Tournon, l’organisation des intercommunalités en fait même des "structures anti-participatives", car « un électeur aveuglé par un contexte territorial confus et opaque a peu de prises pour entamer une prise de conscience et un début de contestation ». A commencer par la procédure de désignation. Dans l’intercommunalité, cette confusion est bien "organisée par la loi", parce que « les conseillers de l’assemblée intercommunale sont choisis par et parmi les conseillers municipaux de chacune des communes participantes. En votant pour ces derniers, l’électeur a, en aveugle, désigné aussi les autres ». Ce qui n’est pas sans poser des "problèmes de participation dans l’intercommunalité"(chapitre 5),  composée de membres désignés et caractérisée par la présence d’un conseil bis, autre que le conseil communautaire, dit de "développement". Certes coopté dans la "société civile", on voit cependant mal comment ce "conseil de développement" pourrait compenser le déficit démocratique chronique d’un conseil communautaire lui-même réduit au rôle de chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif du bureau communautaire.

Les obstacles à la participation citoyenne

J-P Charre traite, quant à lui, des "obstacles à la participation associative" (chap.6), mais son apport le plus remarquable porte particulièrement sur la relation élu/citoyen/technicien. Selon lui, « le triangle idéal, dans lequel l’habitant apporte "l’expertise d’usage", le fonctionnaire "l’expertise technique" et l’élu la "décision politique" en tenant compte des deux expertises est "trop beau". Il peut tourner au "trio infernal", dans lequel les relations entre acteurs posent une question apparemment circonstancielle mais importante, l’organisation du débat, et une autre apparemment fondamentale mais soluble, celle du partage de la compétence ».
Sur l’organisation du débat démocratique, il estime que le "saucissonnage" de la démocratie en tranches représentative, délibérative, directe, etc. « ne peut donner de résultat satisfaisant ».
Quant au partage de la compétence, le handicap fondamental du citoyen – « qui est de ne pas détenir la compétence, de vivre ainsi dans une perpétuelle défiance vis-à-vis de ceux qui la possèdent, et de sentir, en outre que cette compétence qu’on lui oppose n’est que relative, ce qui accroît encore sa méfiance » - ne contribue guère à faire naître le consensus. A partir de la diversité des positions initiales, et à travers la mise en débat des multiples facettes que comporte généralement un problème territorialisé, pour aboutir, enfin, - "dans la béatitude du consensus les affres de l’affrontement " - «  à la mise en forme d’un projet consensuel, condition de son acceptabilité sociale et, souvent, de son optimisation technico-financière ».
Il conclut sur le constat des contradictions, des interrogations, tout en en gardant une petite lueur d’espoir. Ce constat est d’abord celui d’un « hiatus entre d’une part l’attention croissante de l’habitant pour la qualité de vie, son désir conséquent de participer à l’élaboration des actions publiques visant  à améliorer cette qualité, sa capacité croissante de participer à cette élaboration et d’autre part la réalité des processus de concertation, des comportements des protagonistes et des procédures de consultation, qui entraîne souvent son désengagement, justifié par des phrases du genre : "ils" ont tout décidé d’avance, "ils"  ne nous écoutent pas, "ils" nous mènent en bateau, "tout est déjà ficelé". A qui appartient-il de réduire ce hiatus ? N’est-ce pas à chacun des membres du trio élu/technicien/citoyen ? ».
Afin de toujours reconstruire un nouveau jeu de rôles de la démocratie locale.

J.Tournon (dir.), « La république antiparticipative, les obstacles à la participation des citoyens à la démocratie locale », Ed. l’Harmattan, 2009, 180 p., 17 €

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