Loire-Atlantique : la gestion des déchets au crible des fractures territoriales



À l’heure de la dite "transition" écologique, la Loire-Atlantique offre un terrain d’observation fascinant — et préoccupant — des enjeux liés à la gestion des déchets. Entre bastions métropolitains de la taxe historique (TEOM) et périurbain "pionnier" depuis les années 2010, selon l'ADEME, de la redevance incitative (RI ou REOM), le département recèle en 2025 de profondes inégalités. La cartographie de la collecte des déchets y ressemble à un véritable puzzle à deux couleurs dominantes, mais avec d’infinies nuances qui tournent à la fracture. 


Un patchwork de systèmes inégalitaires 

Dans ce département en pleine croissance, 16 intercommunalités adoptent des modèles variés... avec des résultats plutôt mitigés. 

  • À Nantes Métropole et dans les autres agglos, qui regroupent 71% des habitants, on continue d'appliquer la traditionnelle TEOM — taxe d’enlèvement des ordures ménagères — calculée sur des valeurs locatives cadastrales figées depuis les années 1970. Rien de vraiment incitatif : chaque ménage paie selon la taille de son bien immobilier, pas selon sa production réelle de déchets. 
  • À l'inverse, dans des territoires périurbains et ruraux comme le Pays de Blain ou Clisson Sèvre et Maine Agglo, la redevance incitative" concernant 29 % des habitants du département, a fait son chemin depuis les années 2010. Ici, c’est le volume et le nombre de levées du bac qui, ajoutés à un abonnement, détermine la facture. Résultat : la production d'ordures ménagères y tombe souvent à 100 kg par habitant et par an, contre 249 kg à Nantes. 

Mais ce tableau, a priori flatteur, masque une autre réalité : dans les périphéries, la facture pour les foyers oscille entre 267 et 602 € par an, une charge lourde pour des ménages souvent plus modestes que dans l’urbain dense (voir ci-dessus notre "indice de cherté"). 

Des innovations... à géométrie variable 

Face à ces inégalités, certains territoires tentent des compromis, en un concours Lépine de l'incitativité de la part des services déchets et des commissions intercommunales déchets . En Erdre et Gesvres, entre nombreux exemples, la taxe a été rendue partiellement "incitative" : une partie de la taxe varie selon la production de déchets (TEOMi). Une formule hybride, loin d'être lisible pour les habitants, et dont l’efficacité environnementale reste toujours à prouver.


Tableau : comparatif des factures et du tri dans 11 intercommunalités de Loire Atlantique en RI
Données : sites des EPCI et Sinoe.org / Réal. JYM pour LNP 2025



Autre chantier délicat : la collecte des biodéchets, "obligatoire" depuis janvier 2024. Nantes Métropole s’est équipée de bornes d’apport volontaire et de composteurs collectifs dans les quartiers denses. Mais partout ailleurs, notamment à Saint-Nazaire et Ancenis, la mise en place tarde, faute de moyens logistiques et budgétaires suffisants pour chaque commune. 

Un quotidien qui révèle des fragilités et des failles 

La moindre anicroche dans la collecte, comme une panne de camion-benne, ou la gestion des jours fériés, suffit à mettre en évidence les limites d'un système : à Châteaubriant-Derval, le report des collectes du 1er mai a semé la pagaille. Même scène aux déchèteries : seules quelques déchèteries comme celles de Rezé et Carquefou acceptent encore les véhicules de plus de 2 mètres, compliquant la vie des artisans et des agriculteurs. D'autres cherchent à juguler l'afflux par la limitation des passages et des tarifs dissuasifs pour les PME du BTP extra-territoriales (CCES).

Les défis techniques s’accumulent aussi. À Nantes-Métropole, le recyclage du polystyrène expansé fait l’objet d’un appel d'offres complexe, révélant la dépendance croissante des collectivités aux géants privés comme Veolia ou Grandjouan. En aval, le traitement des déchets, OMR et recyclables porte d'énormes enjeux : SMCNA, projets UniTri et de la prairie de Mauves à Nantes.

Des fractures sociales et environnementales béantes 

Sous les innovations bardées de bonnes intentions, les tensions montent. Les dépôts sauvages ont explosé (+15 % en 2024), spécialement dans les secteurs soumis à la redevance incitative. Loin des promesses de transparence, les contrats de délégation au privé (DSP) restent complétement inaccessibles au contrôle citoyen public. Estuaire et Sillon vient de voter, le 8 avril, la privatisation de la collecte pour ses 11 communes en faveur plus que probable pour Veolia.

Quant aux factures des usagers, les écarts se creusent : au nord du département, les habitants paient en moyenne 20 % de plus pour un service moins fréquent qu’à Nantes. Un paradoxe saisissant, où ruralité rime ici encore avec iniquité.



Un "laboratoire de transition"... avec des réserves 

La Loire-Atlantique concentre ainsi toutes les contradictions de la gestion des déchets à la française. À la fois laboratoire d’initiatives locales disparates et vitrine d’inégalités territoriales, les collectivités du département devraient trancher. Faut-il revoir la fiscalité, en la rendant progressive et lisible ? Instaurer des mécanismes de solidarité entre zones urbaines et rurales ? Imposer plus de contrôle citoyen sur les opérateurs privés et les éco-organismes (ex. Citéo) des filières de traitement  

Ces enjeux intercommunaux restent pour l’heure largement masqués à l’approche des élections locales de 2026, non seulement municipales, mais également intercommunales, précisément l’échelle pertinente pour la “compétence” déchets. A ne pas méconnaître et négliger, cette fois. 




 

 





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